Les élites comoriennes peinent à rompre avec les pratiques héritées de la colonisation. L'élite comorienne, majoritairement francophone, véhicule un r
Une Pensée en Péril
L’histoire des Comores regorge de luttes et de transformations où l’intelligentsia aurait pu jouer un rôle pivot. Cependant, malgré les avancées académiques et l’émergence d’élites diplômées, les villes et villages comoriens continuent de stagner, prisonniers de contradictions et d’une vision étroite de leur développement. Au lieu d’être des agents du changement, ces élites s’enferment souvent dans des pratiques coloniales et des rivalités stériles.
La fracture entre savoir théorique et application pratique creuse davantage le fossé entre espoir de progrès et réalité sociale. Ainsi, pour mieux mener notre discussion, trois questions méritent d’être posées : Pourquoi ces élites échouent-elles à répondre aux défis du développement ? Peut-on envisager des solutions pour réconcilier compétences, efficacité et engagement collectif ? Comment expliquer que ces intellectuels, censés incarner le progrès et l'innovation, reproduisent souvent des schémas de pensée colonialistes ou obsolètes?
Une pensée coloniale qui persiste
L'élite comorienne, majoritairement francophone, véhicule un regard profondément influencé par l'euro centrisme. Dans l'enseignement, les arguments et exemples tirés du contexte occidental supplantent les références locales, négligeant ainsi la réalité comorienne. Cette "glorification du colon" se manifeste dans les définitions conceptuelles et les paradigmes éducatifs, empêchant la formation d’une pensée critique enracinée. Nous continuons à produire des "produits français", incapables de questionner les blocages structurels propres à notre société. Comme le rappelle Raymond Aron, "L'éducation ne doit pas seulement transmettre des savoirs, elle doit aussi tenir compte de la structure sociale du pays, de son histoire et de ses besoins." Une démarche que l’élite comorienne peine à intégrer.
L'incapacité à rompre avec les pratiques anciennes
Il convient de retenir que malgré leurs diplômes, les élites comoriennes reproduisent souvent les pratiques traditionnelles de leurs aînés, comme le recours au « mirondo » pour financer des projets, au lieu d’exploiter leur savoir moderne pour élaborer des dossiers techniques et mobiliser des financements auprès des ONG. Cette dépendance à des méthodes archaïques reflète une stagnation de la pensée et remet en question leur rôle dans le progrès communautaire. Les notables s’interrogent sur l’utilité de leur formation académique, constatant qu'elles ne permettent pas de dépasser les pratiques anciennes. Cette incohérence pose la question de leur légitimité et de leur capacité à impulser un véritable changement, malgré les opportunités offertes par leurs connaissances.
L’absence de spécialisation aux projets associatifs
Rappelons qu’aux Comores, les élites à la tête des associations locales ignorent les principes fondamentaux de division du travail, comme ceux prônés par Adam Smith et Émile Durkheim, ce qui provoque des chevauchements de responsabilités et des tensions. Cette confusion des rôles limite la portée des projets collectifs, souvent marqués par des échecs. De plus, ces élites négligent les cadres légaux dans la gestion des initiatives, compromettant leur durabilité. Les conflits internes, alimentés par des rivalités autour des statuts et des intérêts personnels, aggravent la situation. En l'absence de leadership stratégique et d’organisation, elles échouent à impulser un véritable développement, révélant une profonde crise de gouvernance.
Des élites au péril des valeurs et principes
Les élites comoriennes, censées incarner l’humilité et le respect, semblent s’éloigner des valeurs fondamentales de leur société. L’Afrique, notamment les Comores, se distingue par des principes culturels et religieux fondés sur l’amour du prochain. Cependant, dans les administrations et les hôpitaux, certains cadres s’illustrent par l’orgueil, se croyant supérieurs et méprisant clients ou patients. Ce comportement dénigre leurs semblables et s’apparente à une forme de violence morale. En s’éloignant de leurs valeurs traditionnelles et religieuses, ces élites se transforment en figures arrogantes, incapables d’incarner un véritable leadership. Comme l’a si bien dit C.S. Lewis : « Une éducation sans valeur, utile qu’elle soit, fait de l’homme un démon intelligent. » Cette perte d’ancrage éthique menace non seulement la confiance entre les élites et la population, mais aussi la cohésion sociale. Les élites doivent retrouver leur mission : servir avec modestie et exemplarité.
L’élite « mna trengweni » et « l’élite mdra dingoni »
Il est à noter qu’aux Comores, les élites de l’apparence, « wana trengweni », excellent dans la mise en scène publique et la calomnie des intellectuels actifs, mais restent absents des tâches techniques nécessitant des compétences réelles. Leur quête de reconnaissance sociale l’emporte sur l’engagement pour le bien commun, aggravant la fracture avec la population. En parallèle, les intellectuels qualifiés et porteurs de solutions, sont marginalisés et considérés comme « wandru wamatsaha » par un système valorisant les réseaux d’influence et la médiocrité. Confinées à des emplois précaires, certaines élites ne parviennent pas à influer sur les décisions. Michel Crozier résume ce dysfonctionnement dans son ouvrage intitulé l’acteur et le système de cette manière : "Dans un système bloqué, les incompétents écartent les compétents pour préserver leur statut". Cet aspect illustre ainsi l’obstacle majeur au progrès et à la contribution de la pensée intellectuelle comorienne.
Certaines initiatives locales pour le développement : modèles inspirants de la pensée élitiste
Il est plausible de souligner que l'Association Alqibla de Mitsamiouli Mdjini est un modèle inspirant. Cette association des cadres intellectuels a pu lever plus de 140 millions de francs comoriens pour la construction de routes secondaires, tout en privilégiant l’éducation et la cohésion sociale. À Anjouan également, le programme Forêts de l’association Dahari, soutenu par des académiciens de l’Université de Bangor et d’Oxford depuis 2020, œuvre pour créer des aires protégées afin de préserver la biodiversité et sécuriser les ressources en eau.
La FADESIM de Mohéli de leur part, regroupe 30 ONG dans des secteurs tels que l’environnement, l’éducation et la santé, facilitant la coordination du développement local. À M'kazi, le CPAM (comité de pilotage des associations de M’kazi) est en phase d’instauration, toutefois, la classe d'âge de "wachondjé" a déjà renforcé la sécurité de la ville, illustrant l’importance de la collaboration entre élites traditionnelles et intellectuelles. Ces initiatives montrent un modèle de développement durable fondé sur la méritocratie et l’absence de népotisme.
Épilogue
Les élites comoriennes, bien qu'éduquées, peinent à rompre avec les pratiques héritées de la colonisation et des traditions dépassées, ce qui entrave le développement de la société. L'influence de la pensée eurocentriste et la persistance de pratiques archaïques freinent la mise en œuvre de solutions innovantes. Les projets associatifs souffrent de conflits internes et de manque de spécialisation, ce qui limite leur impact. Par ailleurs, l'éloignement des valeurs traditionnelles d'humilité et de service a fragilisé le leadership des élites.
Néanmoins, des initiatives comme celles de Mitsamiouli Mdjini, de Moya et de Mohéli montrent que des approches innovantes et collaboratives peuvent produire des résultats. À M'kazi également, la sécurité locale a été améliorée grâce à l'engagement des élites traditionnelles et intellectuelles. Ces exemples soulignent le potentiel de transformation, mais la question reste à se demander : comment généraliser ces succès à l’échelle nationale pour un véritable changement du pays ?
Abdillah Elarif, Doctorant en sociologie
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