Comores - Madagascar : une relation de méfiance. En tant que grand voisin, Madagascar aurait pu décider de créer des partenariats formels avec les Com
Dans leur relation, les Comores et Madagascar donnent l’impression de jouer contre leurs intérêts respectifs. Et c’est surprenant : près de 5000 étudiants comoriens résident dans la Grande Île, qui accueille de surcroît la plupart des grands malades de notre pays, eu égard au délabrement du système de santé de nos îles. Une quantité relativement importante de notre nourriture quotidienne est importée de Madagascar. Une nombreuse diaspora comorienne implantée depuis des générations contribue même à la composition de la classe dirigeante du pays d'accueil.
Surprenant également, car l’intérêt du grand voisin malgache aurait éte de sécuriser son flanc ouest en obtenant que les îles dressées comme le mirador du Canal le regardent comme un grand frère bienveillant, prêt à tendre la main. Il ne devait surtout pas inspirer la crainte. Cela aurait été le meilleur moyen d’empêcher que demain, des Comores devenues hostiles ne servent de cheval de Troie pour déstabiliser le pays appelé à devenir la locomotive du Sud-Ouest de l’Océan indien, qui fait l’objet de tant de convoitises.
Plus prosaïquement, on était en droit de s'attendre à ce que nos voisins rassurent les touristes sanitaires d'un côté et les commerçants comoriens de l'autre qui leur apportent des devises dont ils ont besoin. Que deviendrait enfin le port de Majunga sans les bateaux battant pavillon comorien ?
Au contraire, tout donne à croire que la relation entre les deux capitales importe peu aux yeux de l’une et de l’autre. Cela pourrait s’expliquer en partie par des raisons relevant plus de la psychologie que de la réalité matérielle. D’abord, un mépris de race séculaire que l'élite de la Grande Île n’a jamais soigné. À chaque fois qu’on gratte un peu le vernis des relations "fraternelles" entre les deux peuples, on trouve, enfoui, le rejet des Comoriens.
Malgré toutes les interactions imposées par la géographie et l'histoire, dont des liens très étroits entre les anciennes familles régnantes puis la puissance de la force de la diaspora comorienne, il subsiste, au sein d’une certaine élite malgache, l’idée que les Comores et les Comoriens représentent congénitalement une quantité négligeable. À Tana, au sein de l’ethnie dominante, s’affichent même parfois des attitudes carrément racistes à l’encontre des Comoriens. ( je l'ai vécu pour avoir été à l'école avec des maîtresses et des petits camarades malgaches de Tana). Les Comoriens y sont, en général, méprisés et affublés de quolibets dégradants.
Le massacre de Majunga, qui avait pris les allures d’un véritable génocide, aurait pu servir de catharsis en offrant l’occasion de crever l’abcès et d’extirper ce mal. Il n’y aura eu jusqu'ici aucun débat, aucune réparation, aucun monument commémoratif, aucune date du souvenir, aucun chapitre dans les manuels d’histoire. Même s'il faut admettre que Moroni n’a pas insisté pour tenter faire soigner le traumatisme subi. "Les Comores n’ont jamais abordé la question ni posé le débat sous cet angle" fait observer une source diplomatique.
Il faut, pour être honnête, reconnaître aussi que les Comoriens rendent bien aux Malgaches ce mépris de race.
L’histoire ne le dit pas clairement, mais si les Comoriens ont tenu à se séparer de Madagascar au temps de la colonisation, leur motivation profonde était plus culturelle et religieuse que politique. Ils estimaient que les mœurs de la Grande Île étaient beaucoup trop éloignées...Ce mépris de race a inconsciemment impacté les États.
C’est sans doute la raison qui explique que les descendants de Comoriens au sein de la classe dirigeante malgache préfèrent, en général, rester discrets sur leur côté mavorandzo, terme péjoratif et insultant désignant les Comoriens.
En tant que grand voisin, Madagascar aurait pu décider de créer des partenariats formels avec les Comores. La Grande Île aurait pu, par exemple, appliquer la réciprocité diplomatique lorsque le président Djohar, lui-même zanatany, a ouvert une ambassade à Antananarivo. Elle aurait pu impulser de petits projets communs au sein des organisations régionales qui profitent effectivement aux deux pays au lieu de tenter d’écraser à chaque fois son voisin en abusant de sa position. Antananarivo aurait eu à portée de main aujourd’hui des leviers pour faire agir l’État comorien dans un sens ou dans un autre, et maintenir peut-être, ces petites îles sous son influence.
Mais Madagascar n’a jamais daigné accorder le moindre intérêt aux Comores. Les petits conflits de voisinage sont inévitables. Pour les éventuels litiges douaniers, il aurait fallu avoir la patience de laisser jouer les règles administratives communément acceptées. D'autant que les Comores appartiennent à une zone monétaire très réglementée dont elles ne possèdent pas une totale souveraineté.
Que Madagacar n’ait jamais ouvert une ambassade à Moroni confirme son indifférence à l'egard de ces îles qui traînent encore les séquelles de traumatismes anciens de razzias venus de la Grande Île ( ikoni). La seule présence diplomatique qu’elle ait eue aux Comores s’est toujours limitée à un consulat honoraire aujourd’hui fermé.
Dans cette crise, nos voisins improvisent. Ils se rendent peut-être compte de leur erreur d’appréciation. Le grand frère malgache s’abaisse maintenant à s’attaquer aux petites gens sans impact sur la classe dirigeante des Comores, donc sans efficacité. Comme dans l'affaire du bateau Acadie.
Il n’est jamais bon d’ignorer sa géographie. Enfin, " il faut ménager tout le monde car on a souvent besoin d'un plus petit que soi".On le sait depuis la fameuse fable de La Fontaine à qui on doit également ces autres vers célèbres :
"Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage."
Par Ali Moindjié
Ancien journaliste
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