Ayant perdu leur emploi pendant le confinement, de nombreuses femmes ont dû se résoudre à vendre leur corps pour survivre et nourrir leur...
Ayant perdu leur emploi pendant le confinement, de nombreuses femmes ont dû se résoudre à vendre leur corps pour survivre et nourrir leur famille.
Doucement, Antananarivo sort de l’hiver et de cinq mois de confinement. Sweat à capuche et legging chamarré, Marie, 27 ans, attend près d’un arrêt de bus. Dans ses yeux, le souvenir de sa vie d’avant. Il y a six mois encore, elle travaillait comme machiniste dans une usine des zones franches de la ville. Un job qui la nourrissait, elle et ses trois enfants, et lui permettait de payer son loyer.
Avec ses 100 000 ariary par mois (21,60 euros, le salaire minimum à Madagascar), elle ne roulait pas sur l’or, certes, mais faisait en sorte de joindre les deux bouts. Las, cet équilibre précaire a basculé quand l’épidémie de Covid-19 est arrivée sur la Grande Ile, avec son cortège de licenciements. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans aide, rien du tout », résume-t-elle, sur le qui-vive, vérifiant que personne ne la repère en train de tapiner dans le froid.
Au milieu de ce quartier de ministères, de nouveau habité par le vrombissement familier des taxis-brousse et des voitures depuis que le confinement s’est desserré, elle pointe une discrète bâtisse en bois. « Les clients payent la chambre. Et moi je leur facture un rapport sexuel 5 000 ariary [1,08 euro]. » Avec trois ou quatre hommes chaque jour, Marie craint de ne pas pouvoir payer son loyer et de finalement se retrouver à la rue.
La concurrence est rude
La jeune mère est originaire de la campagne, à 80 km environ d’Antananarivo. Débarquée là un beau matin pour gagner sa vie, elle n’a raconté à personne ni ses malheurs ni sa reconversion. D’ailleurs, à qui pourrait-elle le dire, elle dont la mère est décédée en lui donnant naissance et dont la famille vivote à gratter la terre ? « Je n’aime pas ce que je fais là, mais je n’ai pas vraiment le choix… sans mari, avec trois enfants à charge, sans personne à qui je pourrais emprunter un peu d’argent », soupire-t-elle.
Si sa taille a fondu, elle aimerait bien qu’il n’en soit pas de même pour ses enfants et qu’ils puissent manger à leur faim. En mars, la présidence a annoncé que les prostituées bénéficieraient de distributions de vivres dans le cadre du plan d’urgence social, au même titre que les chauffeurs de taxis ou les lavandières. Une aide, certes, mais Marie rêve surtout que l’activité économique reprenne.
Chaque matin, elle rejoint son poste dès 7 h 30 et n’en repart pas avant 19 heures, assise à son arrêt de bus « en short ou en jupe très courte » pour attirer l’œil. Car la concurrence est rude depuis le Covid-19. « Beaucoup d’amies de la campagne sont montées en ville pour faire la même chose. Je ne peux pas dire combien, mais beaucoup d’entre elles. C’est facile à faire, on n’a besoin de rien ni de personne. » En fin de semaine, elle doit d’ailleurs accueillir une de ses proches, qui débarque elle aussi de la campagne pour vendre, à 17 ans, ses charmes encore adolescents.
Même lorsque le confinement était strict, les policiers toléraient cette prostitution de survie. « Sans doute savent-ils qu’on n’a vraiment pas le choix », dit Marie. « La loi malgache interdit le proxénétisme, précise Olivia Rajerison, avocate spécialisée dans les droits des femmes. Mais la prostitution en elle-même n’est pas formellement interdite, exceptée la prostitution infantile, considérée comme crime pédophile. »
Une stratégie « de survie »
Alors que l’économie malgache était déjà fragile avant l’arrivée de la pandémie et que les deux tiers des 27 millions d’habitants vivaient déjà avec moins de 1,75 euro par jour, le confinement a brisé quelques-unes des dynamiques qui fonctionnaient à peu près. En avril, une étude de l’Institut national de la statistique (Instat) et de la Banque mondiale faisait état d’une perte d’emploi dans 10,1 % des ménages. Et il y a six mois, au début de la pandémie, la crainte de ne pas avoir assez de nourriture pour leur famille tracassait déjà plus de 60 % des ménages interrogés.
S’il reste difficile de chiffrer l’augmentation de la prostitution durant le confinement, un œil sur les rues de la capitale ne laisse aucun doute sur la multiplication des jeunes femmes dehors, dans certains quartiers, à la nuit tombée. Voire en pleine journée, comme c’est le cas pour Marie. « Dans tout choc, qu’il soit économique ou climatique, des stratégies de survie se mettent en place, dont la prostitution peut faire partie, observe Jean-Benoît Manhes, coordinateur des programmes de l’Unicef à Madagascar. Ce phénomène est d’autant plus difficile à mesurer qu’il reste occasionnel pour certaines femmes. »
L’association Miaro Madagascar assiste de longue date les mineures contraintes de gagner ainsi leur vie et tente de les réintégrer via des programmes d’alphabétisation et de professionnalisation. En 2018, elle avait mené une large enquête de terrain auprès de celles qui traînaient dans les bas quartiers. Pour sa présidente fondatrice, Romy Voos Andrianarisoa, le « décrochage » débute très tôt, « souvent vers 11 ans », et a pour ressort principal la pauvreté. « Ces jeunes filles en rupture familiale ont souvent subi toutes sortes de violences, comme des viols incestueux », précise-t-elle.
Même très jeunes, la majorité d’entre elles sont récupérées au sein de réseaux, de bars, d’épiceries, de karaoké, voire par des chefs de fokontany (quartiers) qui prennent leur commission. D’après le centre Vonjy, qui travaille sur les violences faites aux enfants de la région de Diana (nord), les jeunes filles représentent 40 % des victimes d’infractions sexuelles et sont nombreuses à déclarer avoir vendu leur premier rapport sexuel.
Laure Verneau(Antananarivo, correspondance) ©LeMonde.fr
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