Des Mahorais qui s'organisent en « collectif » pour expulser les étrangers de leur village (avec ou sans papiers), des habitations de...
Des Mahorais qui s'organisent en « collectif » pour expulser les étrangers de leur village (avec ou sans papiers), des habitations de familles comoriennes détruites ou brûlées sous l'œil des gendarmes, des pouvoirs publics qui restent muets face à ces violences, un premier adjoint du chef-lieu de l'île qui parle de « guerre de libération », un directeur de publication de l'hebdomadaire de l'île qui demande à envoyer l'armée pour nettoyer les bidonvilles des clandestins… La Cimade lance un cri d'alarme concernant la situation des étrangers dans le 101ème département français.
Si Aimé Césaire n'est pas l'auteur le plus en vue à Mayotte, l'une des citations que l'on lui attribue est régulièrement utilisée dans l'île au lagon. Mayotte ne serait donc pas un « département à part entière », mais plutôt « un département entièrement à part ». Ce triste mais réel constat, qui a été mis en évidence ces derniers temps durant la grève générale qui a bloqué en grande partie l'île durant deux semaines, concerne également les étrangers qui y vivent (plus de 40% de la population selon l'INSEE). Le traitement qui leur est réservé par une partie de la population et par les autorités, est d'une violence sans commune mesure.
Les actions xénophobes commises par des Mahorais depuis le début de l'année 2016 se sont multipliées. Elles sont revendiquées et menées massivement en toute impunité. De tels événements, s'ils avaient eu lieu en métropole, aurait à coup sûr suscité l'indignation générale et l'intervention rapide des pouvoirs publics.
Si la menace et les expulsions de familles comoriennes par des villageois mahorais n'est malheureusement pas un fait nouveau, c'est le caractère visible, revendiqué et assumé par une partie de la population, n'entraînant quasiment aucune réaction des autorités publiques, qui singularise ce type d'événements.
Un retour sur les faits s'impose pour réaliser l'ampleur de la chose.
Le 20 décembre 2015, à Tsimkoura, village du sud de Mayotte, des propriétaires louant des bangas (habitations en tôle) à des « étrangers » reçoivent un courrier de la part de villageois, constitués en « collectif des habitants de Tsimkoura ».
Ce courrier – que La Cimade s'est procuré – est également adressé à madame le maire de Chirongui, dont dépend Tsimkoura, et à la gendarmerie. Les villageois fixent au 10 janvier 2016 un ultimatum aux propriétaires afin qu'ils expulsent les étrangers à qui ils louent leur habitation. Il est notamment mentionné que, passé ce délai « les habitants prendront les mesures nécessaires pour remédier à ce problème ».
Comment le collectif se justifie-t-il ?
La création de ce collectif de villageois, à l'écart de tout cadre juridique, décide de régler ce « problème » de façon autonome, en bafouant allègrement la loi. Le plus surprenant dans cette démarche est le fait que le collectif avertisse les autorités, comme pour se prémunir d'une quelconque infraction. Comme si le fait de prévenir les autorités rendait leur action légitime et légale.
Le collectif fait état de vols, d'agressions, de terrains occupés illégalement et d' « insécurité grimpante ressentie ».
10 janvier : premières expulsions
Au 10 janvier, devant la menace, certains Comoriens ont quitté leur logement de Tsimkoura et sont partis vivre dans la commune voisine de Chirongui et dans différents villages de l'île (Sada, Tsararano) hébergés lorsqu'ils le peuvent par leurs proches. Ce dimanche-là, le collectif met sa menace à exécution et procède à l'expulsion des « étrangers » qui n'étaient pas encore partis.
17 janvier : deuxième vague d'expulsion
Une semaine plus tard, les villageois reconduisent leur opération. Ils expulsent violemment les derniers récalcitrants et n'hésitent pas à en frapper quelques-uns. Les villageois rentrent dans les bangas et les saccagent avec leurs bâtons et leurs pierres. Ils alertent parfois les Comoriens de leur arrivée au son de leurs percussions. Les membres du collectif arborent tous un tee-shirt rouge.
Selon R., un adolescent expulsé le 17 janvier, une personne âgée et malade, se serait fait arracher sa sonde urinaire par les villageois. Rouée de coups, elle sera par la suite hospitalisée. Les villageois auraient bloqué le passage de l'ambulance.
Une femme rencontrée par les bénévoles de La Cimade, mère de quatre enfants, tous de nationalité française, témoigne : « des villageois sont rentrés chez moi, ils ont cassé mon ventilateur, ma télévision, ont versé du piment sur mon lit avant que la police n'intervienne ».
Entre 200 et 300 personnes semblent avoir été expulsées du village. Majoritairement, des personnes originaires des îles comoriennes d'Anjouan et de Grande Comores. Certains ont pu se réfugier chez des amis. Mais une soixantaine a investi des bangas à côté du stade de Chirongui. Ils y sont entassés dans des pièces humides et l'insalubres, dormant par terre ou sur des canapés défoncés et humides (nous sommes en saison des pluies). Environ dix personnes par banga, des enfants, des bébés, des personnes plus âgées. À Tsimkoura, ils payaient environ 50 euros par mois pour un banga. À Chirongui, ils ont ramené du sable, du ciment, quelques outils et ont bricolé dans l'urgence sur les bangas qui étaient déjà là.
Qui sont-ils, quels papiers ont-ils ?
Les enfants, la plupart nés à Mayotte et dont certains sont de nationalité française, vont à l'école primaire et au collège à Tsimkoura.
Parmi les expulsés, certains ont des papiers, des cartes de séjour temporaire d'un an ou même des cartes de résident de dix ans.
À Tsimkoura, certains étrangers vivaient déjà dans des bangas, d'autres dans des maisons en dur ; tous louaient leur habitation à des Mahorais. Certaines personnes y vivaient depuis plus de dix ans. La cohabitation avec les villageois de Tsimkoura était jusque-là pacifique.
Pourquoi mener ces expulsions à cette période ? Y at-il eu un élément déclencheur ? Il ressort des informations collectées un sentiment de ras-le-bol, de saturation, éprouvé de la part des villageois face à une pression migratoire à laquelle ils attribuent bien souvent à tort la responsabilité de tous les maux sociaux de Mayotte.
Des bénévoles de La Cimade se sont rendus sur place pour rencontrer les familles expulsées et les habitants mahorais pour comprendre les évènements.
Dimanche 21 février : des bangas sont brûlés à Tsimkoura
Le 21 février, en marge d'une nouvelle manifestation du « collectif des villageois de Tsimkoura », deux bangas sont brûlés. Ces incendies volontaires seraient motivés par le retour des Comoriens dans le village. C'est en effet le cas pour une famille qui a pu rentrer en contact avec La Cimade. Elle est retournée à Tsimkoura suite à un appel de leur propriétaire qui leur a expliqué qu'il n'y avait plus de soucis à se faire.
Les expulsés font des allers-retours entre le village où ils ont provisoirement élu domicile et l'école de Tsimkoura où leurs enfants sont scolarisés. Mais le 22 février, une manifestation d'une centaine de mahorais se déroule à Tsimkoura. Ils font le tour du village et annoncent aux parents comoriens qu'ils ne pourraient plus revenir dans le village récupérer leurs enfants en fin de journée. Plusieurs dizaines d'enfants sont ainsi déscolarisés.
Les expulsés viennent au local de La Cimade le 22 février et se constituent en association
Suite aux événements de Tsimkoura, une cinquantaine d'expulsés, dont trente enfants, se rendent au local de La Cimade à Mamoudzou pour dénoncer ce qu'ils vivent depuis plusieurs semaines.
Les familles comoriennes se constituent alors en association et une action inter-associative se met en place. Des plaintes contre X sont déposées, les médias locaux sont informés, une demande de rendez-vous est adressée à la mairie et à la préfecture.
Parallèlement, des familles comoriennes d'un village voisin, sont menacées
L'initiative de Tsimkoura semble avoir donné des idées aux habitants de Poroani (village de cette même commune de Chirongui). Constitués également en « collectif », ils multiplient les réunions pendant plusieurs semaines pour « réfléchir » aux moyens de se débarrasser des étrangers.
Dimanche 20 mars, début des expulsions à Poroani
Une association comorienne du village, Solutions éducatives, avait déposé le jeudi 17 mars un courrier auprès du préfet, de la mairie, de la gendarmerie et du procureur, pour les alerter de la menace et pour leur demander d'intervenir. La seule réaction publique a été de renforcer la présence de gendarmes sur place (pour un total atteignant les 15 à 20 membres). Mais ces derniers n'étaient chargés que de surveiller qu'il n'y ait pas de violences sur les personnes. Ils ne sont donc pas intervenus pendant les expulsions.
Ce sont à nouveau plusieurs dizaines de personnes qui ont été chassées de leur habitation, qu'elles soient de nationalité française, en situation régulière ou en situation irrégulière. Elles sont simplement d'origine Comorienne.
Le dimanche 27 mars, une deuxième vague d'expulsions a lieu. Les médias sont sur place, la tension est palpable. Les gendarmes filment les destructions des habitations mais n'interviennent toujours pas.
Une quasi-absence de réaction des pouvoirs publics
L'interpellation des autorités municipales et préfectorales n'a pour le moment presque rien donné. La préfecture n'a jamais fait suite au courrier inter-associatif et s'est contentée de faire une réunion avec l'équipe municipale de Chirongui. Aucune décision officielle n'a été communiquée.
De son côté, madame le maire de Chirongui a fait part de son impuissance en saisissant directement le ministre de l'intérieur, et en demandant plus de moyens pour permettre l'action d'agents de prévention. Ses demandes ne semblent pour le moment pas avoir donné de suite. Lors d'une réunion avec les deux associations comoriennes venant en aide aux familles et La Cimade, elle a refusé de prendre une décision de relogement ou des mesures particulières en cas de nouvelles menaces d'expulsions.
Cette absence de réaction des autorités est scandaleuse. Elle cautionne l'impunité de ces « collectifs » et leur offre la possibilité de développer ce type d'actions illégales et xénophobes.
Une couverture médiatique et politique des événements frileuse et dangereuse
Si les principaux médias de Mayotte ont régulièrement couvert ces événements, peu de journalistes ont dénoncé la violence et les atteintes aux droits. Le 18 mars, dans l'éditorial du premier hebdomadaire de l'île, un appel a été lancé aux forces de l'ordre et à l'armée pour qu'elles soient « mobilisées rapidement pour nettoyer les bidonvilles qui encerclent » différents villes de Mayotte. Un choix éditorial qui interroge sur l'éthique et la responsabilité des médias dans cette crise.
Les élus locaux sont restés très silencieux. Aucune indignation ou communication publique n'a été prononcée. Et s'ils ne s'indignent pas devant de tels actes, certains vont même à contre-sens de ce que l'on pourrait attendre d'élus de la République. Ainsi, Bacar Ali Boto, premier adjoint à la Mairie de Mamoudzou, chef-lieu de l'île, évoque « une guerre de libération », même s'il assure ne pas la souhaiter.
Mayotte traverse une situation de crise où la déception d'une départementalisation qui n'a pas amené « l'égalité réelle ». Comme souvent en temps de crise, c'est l'étranger qui devient la cible privilégiée.
L'État ne peut pas se contenter d'être un simple observateur de ces violences. Par son silence, il cautionne ces actes délictueux et xénophobes. La Cimade appelle donc à des actions concrètes. La logique sécuritaire domine depuis longtemps les discours politiques et médiatiques sur l'île : renforcer le contrôle de la frontière avec les Comores, augmenter les expulsions des étrangers, supprimer le droit du sol… Tant de mesures qui ne pourront pas mettre un terme à des migrations coutumières et incontournables. La Cimade appelle le gouvernement à repenser sa politique mahoraise et à en finir avec le régime dérogatoire du droit des étrangers outre-mer. Par CIMADE Mayotte
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