Imam, linguiste et auteur de l'ouvrage Islam de France, l'an I (éditions Plein jour), Mohamed Bajrafil a accordé à Zaman France un...
Imam, linguiste et auteur de l'ouvrage Islam de France, l'an I (éditions Plein jour), Mohamed Bajrafil a accordé à Zaman France un entretien exclusif. Le salafisme, le califat, la pluralité religieuse, la fondation al Kawakibi et la question israélo-palestinienne ont notamment été abordées. Focus.
«On est toujours le salafiste de quelqu'un». Pour ceux qui ne le connaissent pas, Mohamed Bajrafil est l'imam parisien qui monte. Invité sur le plateau du Grand Journal sur Canal + à l'occasion de la sortie de son ouvrage Islam de France, l'an I, Il est temps d'entrer dans le XXIe siècle (éditions Plein jour), l'imam français d'origine comorienne a accordé à la rédaction de Zaman France un entretien vidéo exclusif disponible sur le site de Zaman France.
Pondéré mais avisé, Mohamed Bajrafil incarne la nouvelle génération de musulmans qualifiés sur le plan religieux et porteur d'une double culture. Nourrie de 17 années d'études en sciences religieuses, spécialiste du droit chafi'ite, il ne mâche pourtant pas ses mots et répond sans détour aux questions. «Si j'ai un reproche à faire au salafisme tel qu'il est aujourd'hui présenté, c'est le monolithisme de leur pensée. Souvent, les avis qu'il présente sont les avis dont il est lui-même convaincu et qu'il considère comme vrai alors que tous les autres avis seraient faux. C'est mon seul point d'achoppement avec eux», explique-t-il. Linguiste et admirateur de la culture française, Bajrafil cite Rousseau, La Fontaine et Aristote dans le texte et célèbre la liberté individuelle des croyants. «Mon crédo est de laissez les personnes libres de choisir parmi les avis qui existent ce qu'elles estiment aller de pair avec ce qu'elles veulent car c'est une injonction du Prophète».
Une campagne de dénigrement contre Bajrafil
Sur la question de la musique qui a fait récemment polémique, elle est autorisée par des centaines de savants, dit-il comme en réponse à l'imam de Brest Rachid Abou Hudeyfa, de tendance salafiste qui postulait le contraire. «Ne pas être convaincu de cet avis ne doit pas t'autoriser à cacher ce que tu sais. Si tu ne sais, de grâce il faut garder le silence», poursuit-il.
Mais Bajrafil aime prendre ses intervenants à contre-pied et les cueillir là où ils s'y attendent le moins. Celui qui estimait il y a quelques mois que la France était un pays qui respectait la sharia, se revendique lui-aussi comme salafiste, mais un autre salafisme. «Je n'appelle pas à un nouveau discours. J'appelle à un retour au salafisme véritable. Celui de Mohamed 'Abduh et de Jamaldine al Afghani, entre autres, qui prônait un travail de dépoussiérage de ce qu'est véritablement l'islam par un distinguo net de ce qui relève du culturel et du cultuel. Les deux se sont tellement entremêlés au fur et à mesure des siècles. Il existe aujourd'hui des questions de droit qui sont considérées limites comme relevant du dogme», assène-t-il, dépité par les polémiques incessantes qui défigurent le visage de l'islam.
Un agacement qu'il avait vécu dernièrement lorsqu'il se retira du projet de réforme porté par al Kawakibi après des menaces proférées par l'organisation terroriste Daesh dans l'un de leurs magasines en français. Malmené et critiqué de toutes parts, l'imam de la mosquée d'Ivry-sur-Seine avait fait les frais d'une campagne de dénigrement par des sites d'information communautaires sur sa participation à une initiative qui avait débuté par une intervention de Alain Finkielkraut.
Une autre façon de faire société
L'incompréhension était palpable chez l'homme de foi. «En France on est dans une schizophrénie que j'ai du mal à comprendre. Un jour on nous dit : il y a des gens qui parlent en notre nom et qu'on a pas désigné. Ils ne parlent pas bien et ne connaissent pas l'islam. Mais dès que quelqu'un comme Tariq Ramadan, Nabil Ennasri ou d'autres parlent, on nous dit : c'est la franc-maçonnerie ! On veut quoi ? Que nous n'existions pas du tout. Pour ensuite continuer à se lamenter contre les médias, l'Etat français. Ceux qui sont nés ici ou qui connaissent les codes du pays, ceux qui sont de cette double culture occidentale et musulmane doivent prendre la parole. Mais dès qu'il se retrouvent au devant de la scène, on dit qu'ils sont cooptés», confie-t-il.
L'écrivain est néanmoins optimiste sur les capacités de l'islam et de son héritage de briller à nouveau. «Chacun de nous va apporter sa pierre à l'édifice pour que nous vivions ensemble. La Constitution de Médine garantissait pour la première fois de l'humanité la concitoyenneté alors que cette idée est très récente en France. Nous musulmans dont le Prophète est l'inventeur de la citoyenneté nous serions les derniers à la mettre en application ?», explique Bajrafil qui insiste cependant sur un point essentiel dans son ouvrage : «En islam, il n'y a pas d'Etat religieux car personne n'a le droit de parler au nom de Dieu. Il n'y a pas de théocratie».
Celui qui s'oppose fermement à l'importation en France du conflit israélo-palestinien de quelques bords que ce soit, rappelle également que l'antisémitisme est une «hérésie». Alors Mohamed Bajrafil, comment doit-on entrer dans le XXIe siècle ? «Un des défis du XXIe siècle est de ne pas reproduire des modèles qui ont échoué. La politique est en train d'être dépassé. Les élections n'intéressent plus personne. II y a peut-être une autre façon de faire société à laquelle réfléchir».