«Maman, pourquoi tu nous as amenés aux Comores? Nous n’y revenons plus!»

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Des Franco-Comoriens au cœur de l’engrenage mortel du zèle et de l’incompétence Cousine Halima vit avec sa famille à Chelles, en Région pa...

Des Franco-Comoriens au cœur de l’engrenage mortel du zèle et de l’incompétence

Cousine Halima vit avec sa famille à Chelles, en Région parisienne. «Très drapeau», elle fait tout pour qu’au moins tous les deux ans, elle passe ses vacances aux Comores, le plus souvent en compagnie de son époux et de ses enfants. Emportée par ce patriotisme attachant et sincère conduisant de nombreux Comoriens de France à faire porter aux enfants des tee-shirts sur lesquels on lit «Fier (e) d’être Comorien (nne)», elle est partisane de l’idée selon laquelle les enfants doivent découvrir et aimer leurs origines. Ça coûte ce que ça coûte sur le plan financier, mais les enfants doivent visiter les Comores au moins tous les deux ans, parfois chaque année. Voilà donc cette sympathique famille de Chelles partie à Mohéli, plus précisément à Djoiezi, la ville des tsunamis passés et à venir. Passons sur un beau et charmant pays dirigé par une ribambelle de Prestigieux Grands Docteurs et plongé dans le noir, faute d’électricité. Passons sur le blocage total de tout un pays dirigé par une noria de cadres mais ne fonctionnant, pas faute de carburant.

Passons sur un pays où la connexion Internet est un rêve insensé, malgré les grossiers mensonges du «Guide suprême» Ahmed Sambi, qui a montré aux Comoriens des lignes de pêche et du fil à coudre et qui a parlé de «fibre optique» (il aurait fallu le jeter en prison!). Passons sur l’un des plus beaux pays de la Terre coupé du monde parce que non seulement l’Internet ne marche pas, mais aussi parce que quand, en 1992, le Président Saïd Mohamed Djohar a installé la station terrienne, le téléphone aux Comores était plus performant qu’en août 2014. Passons sur le fait qu’à Djoiezi, après la destruction de la digue de paille par les eaux furieuses de l’océan Indien, plus personne n’y ferme les deux yeux en même temps, et dans aucune famille tout le monde ne dort en même temps, de peur d’un tsunami qui pourrait faire monter les eaux de l’océan Indien et tuer tout le monde pendant le sommeil. Passons sur les coupures intempestives de l’eau quand on est sous la douche, le corps enduit de savon et de shampooing. Passons sur tout ça et constatons que, comme même les belles choses ont une fin, les vacances héroïques de la famille de Chelles ont eu une fin et il a fallu que nos héros quittent Djoiezi pour Moroni.
 
C’est alors que toutes les gâteries vécues à Mohéli devinrent de simples petites plaisanteries de cour de récréation entre gamins boutonneux et légèrement taquins. Les malheurs vécus par cette famille de Chelles pendant deux mois devinrent de simples péripéties sans importance face aux avanies qu’elle dut affronter de 7 heures à 12 heures 30 le samedi 23 août 2014. Car, quand la famille de Chelles quitta la France fin juin 2014, elle était loin d’imaginer qu’un report de conférence internationale à Moroni allait leur faire vivre le pire des cauchemars. En effet, ce samedi 23 août 2014, jour de retour en France, par les hasards du calendrier diplomatique, fut aussi le jour de la tenue de la conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Commission de l’océan Indien (COI) à Moroni, avec l’arrivée aux Comores de chefs d’État, d’un Premier ministre et tout et tout. Sachant que «c’est celui qui a dormi dans une maison qui sait par quel endroit du toit passe l’eau des pluies» (proverbe mohélien), la famille de cousine Halima quitta Moroni ce samedi 23 août 2014 à 7 heures, alors qu’elle n’était attendue à l’Aéroport de Hahaya qu’à 10 heures, pour un avion devant décoller à 12 heures 30. C’est alors que commencèrent vraiment les choses sérieuses. Quand la voiture transportant les voyageurs arriva au niveau d’Itsandra, des militaires la bloquèrent: interdiction de circuler.
 
Cousine Halima, connue pour son talent de médiatrice, s’adressa aux militaires, et la palabre africaine commença, mais pas sous le kapokier et le badamier: «Je comprends tout ce que vous me dites. Nous sommes partis très tôt de Moroni pour tenir compte de la réception des délégations étrangères. Nous avons un avion à prendre pour la France. Voici nos billets d’avion, voilà nos passeports. Vous pouvez fouiller notre voiture. Seulement, je vous demande poliment de ne pas nous faire rater notre avion. S’il-vous-plaît. Par pitié». Réponse du berger à la non-bergère: «Jérémiades que tout cela! On s’en fout. Nous avons pour consigne de ne laisser passer personne, et personne ne passe. Nous n’allons pas perdre notre emploi pour vous». Le monologue des sourds dura jusqu’à 11 heures 30, après l’accueil des chefs d’État étrangers, qu’on faisait tout pour ramener au seul Président français François Hollande («Les routes sont bloquées pour l’accueil de François Hollande»), tout comme on disait: «Le Président Ikililou Dhoinine a bloqué toutes les routes lors de l’accueil François Hollande», comme si un Président de la République pouvait se transformer en chef de la Gendarmerie.
 
Quand, finalement, le chauffeur reçut l’ordre de circuler, il roula à tombeau ouvert, et le trajet Itsandra-Hahaya dura de 11 heures 30 à midi. Les formalités d’enregistrement des bagages furent expédiées rapidement. La famille de Chelles se mit à penser au Professeur Pangloss: «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles». Ha! Voilà qui est vite dit. Car, notre famille de Chelles tomba nez à nez sur des policiers au front bas comme des chèvres, au regard fuyant comme des voleurs non culottés, donc des garçons à la mine patibulaire aussi sympathiques qu’une porte de prison, mais se prenant pour Chuck Norris, Clint Eastwood, Jet Li, et pour des acteurs de «Deux Flics à Miami», «Les Experts: Manhattan», «NCIS», etc. «Vous ne pouvez pas avancer parce qu’il nous faut une autorisation parentale pour cette fille, qui a un passeport français mais pas un passeport comorien». Réponse de la maman en train de pleurer: «Mais, elle n’a pas 10 ans. Ma fille a juste 6 ans. En plus, vous me demandez une autorisation parentale, alors que je suis sa mère. Messieurs, nous sommes en train de rater notre avion». Il y eut des menaces et des injures de la part des policiers. C’est alors que le garçon du groupe, portant son tee-shirt «Fier (e) d’être Comorien (enne)», eut ce cri du cœur: «Maman, pourquoi tu nous as amenés aux Comores? Nous n’y revenons plus! Ne me demande plus de revenir aux Comores. Je ne reviens plus. Tu dis que c’est chez nous ici et on nous traite comme des terroristes et des voleurs. On nous embête depuis 7 heures. Je ne reviens plus ici. Chez moi, ce n’est pas ici, mais en France. Tonton Abdallah et Tantine Francine t’ont dit qu’il fallait passer par Mayotte, où on respecte les gens, et tu as refusé. Ils ont voyagé agréablement parce qu’ils sont passés par Mayotte. Nous allons rater notre avion». En désespoir de cause, cousine Halima appela au téléphone un cousin à Moroni, qui demanda à parler à l’un des héros des séries policières télévisées. Finalement, avec un goût de cendre dans la bouche, la famille de Chelles fut autorisée à poursuivre sa route en direction de l’avion.
 
Ébranlée, dégoûtée et inconsolable, cousine Halima a eu ses mots à son arrivée en France: «Je ne me rendrai plus jamais à Mohéli en passant par Hahaya. Plus jamais. Même si je dois passer une semaine à Mayotte dans l’attente d’une soucoupe volante qui doit me déposer à Mohéli, maintenant, je passerai par Mayotte. Je ne veux plus que mes enfants vivent ce qu’ils ont vécu ce jour de malheur. Comment pouvons-nous faire aimer notre pays à nos enfants avec de telles barbaries? Si ces autorités à la sauce tomate avaient construit des routes, celle qu’allaient emprunter les délégations officielles aurait pu être fermée à la circulation et on aurait pu passer ailleurs. Mais, non. Et maintenant, on demande aux parents de produire une autorisation parentale pour faire voyager leurs propres enfants uniquement parce que maintenant, il faut voyager avec deux passeports! Est-ce qu’il fallait que je demande à mes propres parents, décédés, de m’autoriser à faire voyager mes propres enfants? Et si je n’avais pas eu mon cousin au téléphone pour parler à ces gens-là, nous rations notre avion».

Par ARM
© www.lemohelien.com – Jeudi 28 août 2014.
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