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Déjà épinglées par le rapport de la cour des comptes sur la départementalisation de Mayotte, les finances du Conseil départemental sont jugées dans un état "toujours préoccupant" en raison de leur dégradation. Ce document alerte sur le fait que les difficultés budgétaires ne permettent pas à collectivité d'exercer pleinement ses missions. En clair, les dépenses ne sont pas maîtrisées. La CRC déplore l'absence «de stratégie réelle de redressement des comptes», notamment un plan d'économies en matière de charges de personnels.
En 2014 et 2015, les dépenses de fonctionnement étaient supérieures aux ressources, donc déficitaires. Le budget primitif 2016 a dû être arrêté par le préfet ! Sans subventions, la collectivité ne peut investir. Depuis 2014 et la mise en place de la fiscalité locale de droit commun, la collectivité a du mal à faire rentrer de l'argent dans les caisses. Alors qu'en même temps, les rémunérations, les subventions de fonctionnement et d'investissement augmentent.
Pour 2017, la CRC note que "l'accompagnement de l'État au titre de l'aide sociale à l'enfance devrait circonscrire le risque d'un nouveau déficit". Ce n'est pourtant pas son rôle.
Pour ne rien arranger aux finances de la collectivité, le département traîne une dette de 32,5 millions d'euros liés au reversement des impôts sur les sociétés et sur le revenu pour 2013 dans le cadre de la transition vers le droit fiscal commun. Et selon la CRC, "le préfet a demandé au département l'inscription de ces dépenses au budget primitif de 2017, ce que le Département n'a pas réalisé".
Ces 32,5 millions de reversements représentent un montant supérieur à la trésorerie de la collectivité. D'où sur le risque énorme sur l'équilibre déjà très fragile des finances.
Dans le rapport, un détail montre aussi comment les services de l'État n'ont aucune confiance dans les responsables du Département. La loi de finances rectificatives pour 2016 avait prévu une compensation de 61.6 millions d'euros due à la collectivité pour le financement de l'aide sociale à l'enfance (ASE). 20 millions ont été affectés au budget principal pour la réalisation d'investissements en faveur des réseaux de la Protection maternelle infantile. Et 41,1 millions affectés au budget annexe de l'ASE. Une façon de bloquer ses sommes importants afin qu'elles ne soient disséminées dans le budget général de la collectivité.
Commentaire : L'intérêt général, notion très virtuelle
En prenant connaissance de ce rapport, l'envoyé spécial du gouvernement à Mayotte, le préfet Dominique Sorain, a sans doute balancé entre deux sentiments. On exclura d'emblée l'accablement devant la tâche qui l'attend puisqu'il n'est pas permis que les états d'âme envahissent les hauts serviteurs de l'État. Grandeur et servitude de la fonction. Premier sentiment, donc, l'immense solitude malgré la petite équipe d'experts qui l'entourent et l'oreille attentive de Paris sur des moyens à envoyer. Car le rapport ne décrit rien d'autres que le délabrement avancé d'une collectivité incontournable qu'est le Département à Mayotte. Et une incapacité totale à se réformer. Comment faire sortir un territoire explosif d'un tel marasme quand une administration locale apparaît comme paralysée, gangrenée par des pratiques clientélistes, incapable de remplir sa mission, totalement inapte face aux défis économiques, sociaux et démographiques auxquels sont confrontées l'île hippocampe et sa population jeune et très défavorisée. Comment combattre une pareille situation quand l'État ne peut compter sur des élus locaux fiables et dignes d'un minimum de confiance, relais indispensable auprès de la population car possédant une légitimité démocratique.
La Collectivité publique n'est donc juste bonne à fournir salaires, avantages en nature, gratifications et prébendes
Second sentiment, une forme de soulagement. Car cette crise mahoraise n'a cessé de présenter l'État comme le principal fautif de tous les maux qui accablent le territoire. De nombreux reportages en métropole ont maintes fois montré Mayotte comme un territoire « abandonné par la France ». Réalité un peu plus nuancée dans le rapport de 2016 de la Cour des comptes qui pointait du doigt les défaillances de l'État dans le pilotage de la départementalisation « mal préparée » et l'insuffisant effort de rattrapage financier.
Les observations de la CRC sur les ressources humaines du Département indiquent que l'État n'est sûrement pas le seul coupable dans la catastrophe programmée qui semble attendre Mayotte. Le document montre comment la collectivité locale est totalement défaillante, malgré des effectifs jugés pléthoriques sur des missions aussi essentielles que l'action sociale, l'économie, le développement durable, l'aménagement du territoire, les services à la population, la formation et la recherche. L'État ne serait donc plus le seul grand méchant. À travers les terribles constats sur le niveau de la gabegie au sein de la collectivité, apparaît de façon plus précise le double jeu malsain de certains élus qui encouragent les manifestations et les barrages tout en se posant en pacificateurs.
Un rôle bien commode qui leur permet de s'exonérer de leurs propres incompétences, manquements et autres turpitudes. Car ce rapport met directement en cause les responsabilités des élus, des cadres et même des agents. Leurs seuls efforts semblent se concentrer sur la façon dont tirer profit de la manne publique, ressources financières considérées comme intarissable. La Collectivité publique n'est donc juste bonne à fournir salaires, avantages en nature, gratifications et prébendes. Comme si l'intérêt général et les missions de service public étaient des notions virtuelles devant rester enfermées dans les manuels de droit administratif ou le code des collectivités territoriales. Comment alors prétendre sortir son pays de la misère et de la délinquance quand ceux qui sont censés être les guides donnent un tel exemple ?
Jérôme Talpin
Publié par le Journal de la Réunion - ©JIR