Les véritables enjeux des assises
Je reviens sur les thèmes que propose le M11 pour les assises nationales. Mon souci est de faire comprendre les enjeux réels des assises au regard des inquiétudes légitimes qui s’expriment. Pour ce faire je prends l’exemple du thème portant sur l’édification de l’Etat comorien.
Photo d'archives: ©La Gazette des Comores |
En premier lieu il s’agit de comprendre d’où on vient. On peut considérer un ETAT comme une organisation du vivre ensemble d’une communauté nationale ou multinationale. Cela se traduit par des organes, des lois, des usages, des valeurs, etc. Définition générique qui permet néanmoins de cerner la problématique.
Avant la colonisation le processus d’émergence d’un Etat comorien avait atteint un certain niveau. L’organisation se basait sur le village. La structuration s’articulait autour d’événements sociaux (circoncision pour les garçons, avoir les signes d’une femme pour les filles, le mariage, etc.) Chacun connaissait sa place, son rôle, etc. Les punitions étaient bien définies et redoutées. Les villages s’organisaient en régions (les 7 ngazidja par exemple) avec des sultans à leur tête qui bataillaient pour prendre le leadership de leur île. Les sultans entretenaient des relations complexes, parfois liant des îles (celui de Ndzuani a pu ainsi protester vis-à-vis du roi de France après l’annexion frauduleuse de Maore). Un Etat et une nation prenaient corps de façon tangible. Durant cette période, chacun se valorisait par son esprit de servir son village et on passait d’une strate vers une autre naturellement. On peut parler alors de démocratie féodale villageoise puisque les décisions importantes étaient prises par des assemblées de la strate concernée. Et enfin, fait à souligner : personne n’aurait imaginé qu’on pouvait voler les biens du village.
La colonisation a interrompu le processus sans parvenir pour autant à l’anéantir. La culture et la religion furent des véritables remparts d’autant que l’Etat colonial n’existait que dans les principales villes. Les choses allaient changer à partir de la fin de la 2ème guerre mondiale. Une élite comorienne francophone (avant elle était principalement swahili et/ou arabisant) émergea peu à peu d’une part et d’autre part l’argent jouait un rôle de plus en plus important dans les relations sociales. Cela produisit des bouleversements qui allaient peu à peu mener le pays à la catastrophe nationale. Petit à petit les postes de fonctionnaires puis politiques apparurent comme des moyens d’enrichissement et de valorisation sociale tuant peu à peu l’esprit de servir qui doit animer les fonctionnaires. C’est flagrant aujourd’hui où c’est à qui s’enrichira à vitesse électronique à partir de son poste de direction, où même les opérateurs économiques ont besoin d’appuis politiques plus ou moins véreux pour prospérer. Les choses se sont tellement aggravées qu’on en arrive à voler les mosquées.
Ce processus s’est généralisé et a pris des proportions catastrophiques. Il s’agit ici d’un raccourci d’un non spécialiste ni en anthropologie, ni en histoire. Mais je crois et j’espère que ces éléments pourront aider à poser la problématique du pillage des deniers publics, de l’état d’esprit de la plupart des dirigeants politiques.
Sous un autre prisme, on doit s’interroger sur le sentiment national comorien. Pourquoi des pays africains constitués arbitrairement, unissant des ethnies qui n’avaient pas grand-chose de commun, dans lesquels se pratiquaient plusieurs religions parviennent à affirmer leur nationalité et nous pas encore vraiment ? Pourquoi des petits archipels composés parfois d’une multitude d’îles (Seychelles, …) arrivent à s’unir et à développer des forts sentiments nationaux et pas nous. Alors que nous avons beaucoup plus d’atouts : une langue commune, une religion unique, une culture commune. Pire, nous devons reconnaître que nous avons reculé. Car si avant l’indépendance, les singularités existaient et se manifestaient sous différentes formes, les tendances séparatistes ne sont apparues qu’à la veille de l’indépendance et on imagine pourquoi. Aujourd’hui le séparatisme ravage nos quatre îles, on est confronté à de la haine irrationnelle portée par des gens « instruits ». On assiste même à des affrontements violents entre quartier d’un même village !
Bien évidemment il faudra au cours des assises, analyser les différentes formes qu’a revêtit notre pays depuis l’indépendance, cerner la période "Soilihiste" et ses originalités organisationnelles, tirer des leçons, comprendre la période Bob Denard, analyser de près la Tournante qui a préservée le pays tout en alimentant la séparation et la gabegie. Il faut penser par nous-même, parvenir à consolider et élargir la stabilité obtenue, permettre à tout un chacun d’avoir confiance en son destin tout en frayant une voie à l’édification nationale.
La voie n’est pas simple. Elle ne peut se résumer en Tournante ou pas Tournante. Les assises donneront lieu à des luttes, le politicien voudra dominer. Les arrière-pensées sont diverses et nombreuses. Les forces de progrès du pays ne doivent pas partir battues. Conscients des dangers de manipulation, de récupération, mais mesurant l’opportunité d’œuvrer à faire changer les choses, elles doivent aller aux assises avec détermination et intelligence. Ni capitulation, ni naïveté !