L’émergence des Comores, on aimerait bien y croire
Depuis 9 mois, en Union des Comores, on nous chante le slogan de « Comores, pays émergent» d’ici 2030. Du sommet de l’Etat jusqu’aux différentes administrations du pays, en passant par les sociétés d’Etat, le refrain est relayé. Les chargés de communication de Beit-Salam et des ministères en font l’écho, parfois de façon exagérée.
Dans les états-majors politiques, certains se sont approprié le slogan lancé par le chef de l’Etat, au stade Baumer, lors de son investiture le 26 mai 2016, pour flatter le régime et tenter d’obtenir récompense.
Certes, le pays a ce besoin de rêver, de sortir de cette brume envahissante pour entrer dans l’air de son temps, se dégager du marasme socio-économique qui parait jusqu’ici comme une fatalité et se libérer de l’obscurantisme ; mais la question est de savoir s’il s’agit d’un engagement sincère du chef de l’Etat et de ses collaborateurs ou d’un simple discours taillé pour galvaniser les foules et continuer de maintenir la population dans l’expectative. Car comme dirait l’autre : la barre est placée très haut.
« Comores, pays émergent », cela signifierait que d’ici 2030 notre PIB par habitant (814, 96 USD en 2013) se rapproche de celui des pays développés ; que nous ayons une croissance économique rapide(supérieure à 5 % sur le long terme), un niveau de vie et des structures économiques et sociales qui convergent vers ceux des pays développés. Notre économie devra aussi être ouverte au monde et le pays subir des transformations structurelles et institutionnelles de grande ampleur.
Et sans démagogie aucune, cela exige des efforts considérables, plus que se pavaner dans les grandes cérémonies rituelles. Sortir les Comores, en l’espace de 13 ans, du statut de pays pauvre très endetté (PPTE) pour les classer parmi les pays émergents cela demande des actes forts, et non des discours creux, vides de tout sens. Il faut rappeler que notre PIB est d’environ 598 millions de dollars contre plus de 11 milliards pour l’île voisine de Maurice. Quant au revenu annuel moyen par habitant, il est de 840 dollars aux Comores contre plus de 8 500 à Maurice et 11 600 aux Seychelles.
Regardons autours de nous, l’Afrique du Sud n’a rejoint les BRICS(le sommet des pays émergents) qu’en 2011. Pour le Kenya et la Tanzanie, ils figurent sur la liste des pays émergents depuis juste 3 ans, d’après la Coface. C’est dire à quel point le chemin vers l’émergence est long et exige des réformes préalables.
Or, que faisons-nous depuis bientôt 12 mois ? On licencie dans l’administration et dans les sociétés d’Etat au lieu d’embaucher. Plus de 5 300 jeunes congédiés et renvoyés chez eux. Aucune perspective concrète de court ni de long terme ne leur est proposée. Seulement on prétend casser des œufs pour faire des omelettes ensuite. Un autre slogan pour d’autres promesses.
Dans le même temps, on décrète l’augmentation du budget de l’Etat qui passe dès 2017 à 125 milliards de francs contre moins de 50 milliards en 2016. Résultat : pression fiscale et douanière déraisonnable. Si la méthode a fonctionné durant les trois derniers mois de l’année 2016, elle est en train de plomber l’activité économique et provoquer une inflation sans précédent. Même les commerçants ont baissé les bras, n’en parlons plus des investisseurs qui hésitent même sur les nouveaux crédits bancaires proposées à taux réduit.
Et pour maquiller ce chantier de tâtonnement, on fait croire à la population que le gouvernement a déboursé 7 milliards de fonds propres pour acheter les nouvelles centrales électriques de la Ma-mwe. Et pourtant, l’on sait très bien qu’on a puisé dans les réserves statutaires de la Banque centrale. Mais on poursuit tout de même la saga en annonçant que 15 milliards de fonds propres seront engagés dès le mois de mai pour reconstruire l’hôpital El-Maarouf.
Egalement, les autorités ont décidé de tuer l’informel, sous prétexte de nettoyer les trottoirs de la capitale, au lieu de l’organiser, oubliant que cette économie « occulte » maintient en quelque sorte le formel, incapable jusqu’ici de devenir un véritable levier. La vie de beaucoup de familles démunies en dépend très sérieusement.
L’émergence est « un parfum qui attire », certes, comme défend Mohamed Mbechezi. On s’en aperçoit à travers ce qui se passe chez nos voisins. Les capitaux, les investisseurs et les touristes atterrissent constamment. Seulement, ailleurs ce ne sont pas les discours qui attirent, mais les actes entrepris par les autorités pour améliorer le climat des affaires et assurer la stabilité des institutions. Inutile d’imaginer qu’on peut attirer des investisseurs en entretenant l’opacité dans la gestion des affaires de l’Etat, passant outre les règles de passation des marchés publics ou encore en bafouant l’autonomie des îles. On aura à nos portes dans ce cas, les truands et les escrocs de tout genre.
Par ailleurs, si l’émergence ne signifie pas corruption zéro, il faut intégrer le fait que la lutte contre la corruption fait partie des indicateurs de développement et de bonne gouvernance. En décidant de dissoudre la seule structure censée lutter contre ce fléau et réfuter dans la foulée la décision de la Cour constitutionnelle ayant censuré son décret relative à cette dissolution, le président de l’Union des Comores n’a pas mesuré à quel point a-t-il piétiné l’Etat de droit et trahi lui-même sa propre conscience.
Oui, l’idée de « Comores, pays émergent » est sans doute meilleure. Mais il devient un horizon chimérique pour un pays dont les dirigeants manquent de réalisme et de sincérité. Pour que le peuple comorien y croie, le président de la république et son gouvernement doivent plus agir dans le sens de cette idée que de parler et gesticuler, manifester une cohérence entre les discours et les actes. Sinon le slogan de « Comores, pays émergent » deviendrait une promesse intenable contribuant à transformer la politique en jeu de dupes.
Ali Mmadi