Azali Assoumani :« Telma a déjà acquis la licence et nous n’allons pas la leur refuser »
Dans un entretien qu’il a accordé à la Gazette des Comores, le président de la République assure que la licence attribuée à Telma ne sera pas retirée. Les libertés religieuse et sexuelle, la position des Comores sur le rejet de la candidature de l’Arabie Saoudite par l’OIF, figurent parmi les sujets abordés au cours de cet entretien qui a eu lieu à Antananarivo au lendemain du 16ème sommet de la Francophonie.
Question (Q) : Cinq candidatures au total étaient déposées pour intégrer l’Organisation Internationale de Francophonie (OIF). Seule celle de l’Arabie n’a pas été retenue. Quelle est la position des Comores face à ce rejet ?
Azali Assoumani (AA).Ça nous a vraiment choqués. Nous avons soutenu activement l’Arabie Saoudite mais nous sommes arrivés à un stade où nous menons le combat pour la prochaine fois (Sommet de 2018, Ndlr). Donc, nous ne pouvions faire autrement. Nos amis les Saoudiens ont demandé d’entrer (au sein de l’OIF, Ndlr), tout comme Qatar y est entré. Je ne vois pas la raison de refuser à Arabie Saoudite son intégration. Mais il semble qu’il y ait des éléments qui ne sont pas encore complets, raison pour laquelle une mission sera dépêchée à Arabie Saoudite pour une évaluation. Ainsi, au prochain sommet en Arménie le dossier sera-t-il examiné à nouveau. Mais nous, nous avons une position en béton. Et ça sera ainsi jusqu’à ce que Arabie Saoudite intègre (la Francophonie, Ndlr). Cela va de notre intérêt car elle impose un respect dans le monde entier. Et en plus, la diversité culturelle figure parmi les atouts de l’Organisation.
Q. Au cours du Sommet, la plupart des allocutions ont été axées sur les libertés individuelles notamment sexuelle et religieuse. Aux Comores, le gouvernement est intransigeant face à ceux qui appartiennent à une branche religieuse autre que le sunnisme. Que pensez-vous des appels des dirigeants des pays de l’OIF aux autres membres de la famille francophone ?
AA. Il ne faut pas faire de l’amalgame. S’il vous plait, soyez sérieux. Tu veux qu’on accepte qu’une femme couche avec une femme ? Un homme avec un homme ? C’est ça la liberté que vous voulez ? Nous sommes là, chacun a ses valeurs que nous allons partager. Mais parmi ces valeurs il y a celles que nous allons partager et d’autres que nous n’allons pas le faire. Est-ce que les blancs accepteraient la polygamie ? Soyez intelligent. Ils veulent rejeter la polygamie, mais nous, devrions-nous accepter qu’une femme couche avec une femme ? Liberté religieuse, d’accord. Tu veux qu’on devienne comme le Liban, nous entretuer ? Tu veux qu’on soit comme les pays qui s’affrontent, c’est ce que vous voulez ?La liberté religieuse n’est pas interdite, c’est une affaire personnelle. Mais chaque Etat a sa propre politique. Aux Comores il y a eu une loi en ce sens.
Laquelle loi ce n’est pas moi qui l’ai votée. Elle fixe comme doctrine officielle Ahli’sunnat waldjama’an et le madh’hab, le chafiisme(*1).On n’empêche personne de pratiquer sa religion. Et personne n’entrera chez toi pour dire que tu es catholique. D’ailleurs l’Islam interdit de se mêler de la vie privée d’autrui. Mais partout c’est comme ça(…). [La France] a fait que sa religion c’est le catholicisme(*2), c’est l’officiel. Les autres (branches ou religions, Ndlr) peuvent être[pratiquées en] privé. Comment vous vous laissez tomber dans le piège que la France peut interdire le Hidjab, mais nous, nous devons accepter les leurs (les valeurs de la France) ?
Vous êtes des journalistes, mais du tiers monde. Ayez donc des mesures dans vos questions…Aux Comores il n’y a jamais eu un quelconque problème avec les catholiques. Nous avons une religion de tolérance bien installée. C’est une aubaine que nous nous devons de préserver. Ce qui se passe dans les autres pays, nous devons en tirer les leçons. Ahlis’sunnat waldjamaan c’est l’officiel tant que c’est voté par l’assemblée. Tout ce qui se passera en privée, personne n’y mettra son nez mais officiellement, toute personne qui déroge (la loi, Ndlr), aura commis une faute (…)
Q. Vous avez démontré qu’il ne sera pas gêné celui qui pratique sa religion en privée. A Anjouan il y a eu plusieurs arrestations pourtant
AA. Comment ça à Anjouan ? Quel policier s’est-il rendu dans une résidence pour arrêter quelqu’un ? Ils (les adeptes d’autres doctrines que le Ahlisunawaldjama’an, Ndlr) ont voulu organiser une manifestation populaire. Ils ont voulu se mutiler publiquement et ils en ont été empêchés.
Q. A Moroni, il y a eu une arrestation d’une personne qui n’avait ni organisé une manifestation populaire ni tenté de se mutiler publiquement
AA. Ne me fais pas entrer dans ces détails (rires).
Q. Nous avons eu vent d’une information selon laquelle vous avez rencontré ici à Madagascar les responsables de la société Telma. Le processus suit-il son cours ? Telma ouvrira effectivement le 12 décembre ?
AA. Je n’ai pas rencontré Telma… En revanche, ce n’était pas normal qu’en période électorale on ait signé un contrat d’une telle envergure. Pas normal. Pas normal que le gouvernement l’ait fait, mais Telma aussi, ils étaient conscients. Toute personne douée d’une intelligence n’aurait jamais signé un contrat de 10 milliards en période électorale. Qu’ils ne nous prennent pas pour des idiots.
Q. Vous voulez dire que c’est la période pendant laquelle le contrat est signé qui pose problème mais le contrat en soi, et ses procédures, sont dans les normes ?
AA. Mêmes les procédures. Il y a plusieurs vices dans les procédures. Même l’assemblée s’est déclaré que les procédures n’ont pas été respectées. Et effectivement si les procédures n’ont pas été respectées c’est parce ce que les préoccupations c’était les élections durant cette période. Malheureusement, nous sommes dans un pays où l’on n’a pas encore la capacité de maîtriser plusieurs situations en même temps. A chaque période électorale, on abandonne l’administration pour ne se concentrer que sur les élections, contrairement aux autres pays. En période électorale, on ne ramène pas un dossier aussi important pour le faire signer, car là soit on se trompe soi-même, soit on trompe les autres. C’est ce qui s’est malheureusement passé.
Toutefois, Telma a déjà acquis la licence et nous n’allons pas la leur refuser. Actuellement le monde est dans la concurrence, fini les monopoles. On n’osera pas dire aujourd’hui que Comores Telecom doive garder le monopole. Non, c’est impossible. Et ce, bien que je sois contre le système (d’attribution de la licence à Telma, Ndlr). Parce que moi, j’aurais demandé qu’ils (Telma, Ndlr) entrent dans le capital de Comores Telecom à 50%, voire à 60% mais c’est le pays qui allait gagner. Avec cette licence qui vient affronter Comores Telecom, nous aurions du nous préparer à la concurrence. Et on n’a pas pu le faire, hélas. Mais puisqu’ils sont déjà venus, aucun souci. Mais nous allons quand-même en discuter.
Propos recueillis par Toufé Maecha, depuis Antananarivo
*1).Article 1er de la loi portant réglementation générale des pratiques religieuses en Union des Comores :“En matière de pratique religieuse, la doctrine (Anquidat) ahlisunnatwaldjamaan sous couvert de rite (Mad-hab) Al-chafy est la référence officielle religieuse de l'Union des Comores”.Cette loi est jugée « inapplicable », par les juristes. Les modifications suggérées par le juge constitutionnel en ses articles 1er et 2 n'ayant jamais été apportées par le législateur.
*2). L’État français, laïc, reconnaît toutes les religions sans en adopter aucune.