Internet et réseaux sociaux : une sociologie électorale aux Comores.[1] - Suite Devant une société comorienne où le débat politique a to...
Internet et réseaux sociaux : une sociologie électorale aux Comores.[1] - Suite
Par Issa ABDOUSSALAMI
Doctorant en sociologie
Aix-Marseille Université
Devant une société comorienne où le débat politique a toujours été timide, proscrit voire banni par des mentalités narcissiques fondées sur des principes du fantasme des origines et des appartenances, la blogosphère s’impose comme stratégie de campagne électorale et devient un relais d’opinion en matière de mobilisation sociale et politique. Ainsi, des blogs de soutien à tel ou tel candidat, des pages Facebook administrées et alimentées quotidiennement d’informations en boucle et en continu se créent et se démultiplient à une vitesse extraordinaire.
Au-delà des pages anonymes, les tendances les plus représentées sont celles des grands partis politiques actuels sur la scène nationale : CRC et son site internet renforcé par la page Facebook Les Amis d’Azali, UPDC avec la page Radhi France et surtout JUWA. Azali, Mamadou et Sambi semblent très présents sur internet que les autres. Ici et là, on avance des chiffres de sondage d’opinions et d’intentions de vote, de résultats obtenus aux urnes dont les sources sont parfois douteuses, à l’exemple de ce site qui ne dispose ni de spécialistes en sciences quantitatives ou qualitatives ni de qualifiés en techniques de recherche, enquête et méthodologie ni même de moyens logistiques et humains capables d’interpréter d’éventuels résultats.
Entre l’administrateur de la page internet et celui qui la consulte s’établit un pacte dont les clauses sont l’absence de sincérité, la désinformation, la manipulation de masse, la subjectivité et la violence verbale. Pour asseoir une politique de l’affection et de l’intimité liée à la défense d’intérêts partisans au détriment des valeurs républicaines certains militants politiques issus de la diaspora, au capital culturel honorable, s’investissent dans ce jeu de désinformation, source d’une exaspération des antagonismes. Pour convaincre un large public, on publie sur la toile des comités de soutien dont les membres sont issus d’une catégorie socioprofessionnelle honorable : docteurs en toutes disciplines, universitaires, auto entrepreneurs, grands notables, religieux, leaders associatifs…
Des échanges tendus
Au-delà de leur efficacité en matière de communication électronique, les réseaux sociaux présentent aussi des dangers. Parcourant tous les coins du globe à une extraordinaire vitesse, l’information relayée sans contrôle peut devenir facilement une intox. S’instaure alors des échanges violents, ridiculisants appuyés par la satire et la caricature d’images. Les provocations deviennent la règle à travers un vocabulaire élogieux ou péjoratif: putschiste, sauveur de la nation, traitre de la nation, homme de parole et d’action, défenseur des droits universels, séparatiste, candidat des femmes, candidat de l’espoir…., les spécialistes en lexicostatistique auront un riche corpus à étudier pour appréhender la diversité des qualifications et la réalité des tensions inter-militants.
Comment expliquer une telle exaspération des antagonismes ? La politique est une affaire de dialectique, dira t-on. Mais, dans ce contexte électoral comorien, une combinaison de plusieurs facteurs peut être à la source des dérapages.
- De l’interdiction à l’autorisation
Les origines communautaires ou régionales priment sur l’appartenance nationale. Le débat politique et la formulation de critiques à l’encontre d’un régime ont toujours été mal accueillis. Il est prohibé de donner une opinion défavorable sur telle politique de gouvernement ou sur tel programme de campagne au risque de subir les représailles qu’on connait. Par l’absence du contact physique entre les individus, le recours à la blogosphère est un moyen de liberté d’expression citoyenne fondée sur une culture contestataire. Les médias audiovisuels et la presse écrite devraient être un support amplificateur du débat politique mais ils restent étouffés par le chantage outrancier de l’Etat. Prendre la parole, faire campagne, participer aux échanges devient alors un acte d’affranchissement à telle enseigne que ces internautes deviennent des acteurs de la vie politique de leur pays en contexte migratoire.
- La parole des diplômes
La plate forme numérique en tant qu’espace public alternatif pour des usagers, largement issus de l’immigration, aboutit-elle à perpétuer et à reproduire les inégalités sociales ou devient-elle mobilisatrice du débat citoyen et démocratique ? Si les printemps arabes ont déclenché par une révolte citoyenne à travers Internet, menée surtout par une jeunesse désespérée, il est loin d’envisager une telle hypothèse pour les Comoriens. D’abord, parce que les acteurs se limitent à leur expression sur Facebook, les sites et les blogs. Ensuite, par l’uniformité de leurs profils, ils sont dans la vie active, en majorité du sexe masculin et ont fait au moins trois années de formation universitaire. Interlocuteurs au capital culturel élevé, les échanges tournent autour des bilans des candidats ou de leurs compétences en matière de gestion de la chose publique.
Ce débat très tendu tourne autour de la question citoyenne et démocratique appuyés par un savoir scientifique que seuls les formés ont accès. Loin d’être un vecteur de mobilisation citoyenne et de culture démocratique, la plate forme numérique reste un espace où s’exposent compétences, savoirs, qualifications et diplômes. On signe par son doctorat ou son diplôme d’ingénieur tout en insistant sur sa catégorie socioprofessionnelle. Dans les propos, on cite les grands penseurs en sciences juridiques, en sciences politiques, on s’appuie sur théories scientifiques. Le culte du diplôme a une certaine visibilité que l’on ne s’intéresse pas au contenu. A force de trop vouloir exposer ses compétences le débat démocratique perd sa saveur.
[1] Ce texte est un extrait d’un exposé présenté dans le cadre du séminaire doctoral « Migrations et Savoirs » du Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES), avril 2016.
LIRE LA PREMIÈRE PARTIE DU TEXTE
[1] Ce texte est un extrait d’un exposé présenté dans le cadre du séminaire doctoral « Migrations et Savoirs » du Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES), avril 2016.
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Par Issa ABDOUSSALAMI
Doctorant en sociologie
Aix-Marseille Université