Ils s'appellent tous les deux Mohammed. L'un est le fils du roi Salmane, l'autre son neveu. Il leur a confié la majorité du pouv...
Ils s'appellent tous les deux Mohammed. L'un est le fils du roi Salmane, l'autre son neveu. Il leur a confié la majorité du pouvoir, dans un Etat où la charia fait office de loi. Entretien avec le chercheur Stéphane Lacroix.
Spécialiste de l’Arabie saoudite, Stéphane Lacroix est professeur associé à l’Ecole d'Affaires internationales de Sciences-Po (PSIA) et chercheur au Centre de Recherches internationales (Ceri).
Qui dirige l’Arabie saoudite ?
- Une famille, les Saoud, possède la quasi-totalité du pouvoir. C’est d’ailleurs le seul Etat au monde qui porte le nom d’une famille. On est plus proche d’une logique patrimoniale que d’un Etat moderne. Il y a des institutions, mais elles reposent essentiellement sur des liens personnels et des fiefs.
D’autre part, l’Etat saoudien est fondé sur un partenariat entre le politique et le religieux, qui coexistent selon les termes d’un pacte passé en 1744 dans lequel le politique, c’est-à-dire Mohammed Ben Saoud et plus tard la dynastie Saoud, s’engage à faire appliquer dans la société le message religieux de Mohammed Abdel Wahhab, qui prône une purification de l’islam par le retour aux sources. En retour, le religieux reconnaît une forme d’autonomie du politique en acceptant de légitimer ses décisions.
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Ce pacte originel fonde un Etat "bicéphale", avec deux espaces qui sont relativement distincts. D’un côté, il y a une élite religieuse, les oulémas, formés dans les universités. Et de l’autre, l’autorité politique organisée depuis toujours autour de la famille Saoud.
Petit à petit, au XXe siècle, grâce à la manne pétrolière, le politique va accentuer sa tutelle sur le religieux, sans jamais rompre l’alliance de départ. Et aucune des deux têtes n’est complètement monolithique. On trouve différentes factions chez les princes. L’establishment religieux est relativement uni, mais cela n’a pas empêché l’apparition d’une dissidence. Donc plusieurs centres de pouvoir, plusieurs acteurs coexistent. Dans cette "sécularisation paradoxale", chacun fonctionne selon sa logique en cherchant à préserver ses intérêts.
Cela explique les paradoxes du royaume. Par exemple, la politique étrangère, en Arabie saoudite, fait partie du domaine autonome des princes, et les oulémas n’ont pas de droit de regard sur elle. Donc quand la famille royale saoudienne décide de faire alliance avec les Etats-Unis, ça ne pose aucun problème. La politique saoudienne est essentiellement guidée par des intérêts profanes.
Cette différence structurelle produit un système complexe où le religieux est bridé par le politique, qui, en retour, doit garantir les intérêts de l’autorité spirituelle. C’est la police religieuse qui veille à l’application du modèle wahhabite dans la société saoudienne. Et, puisque le wahhabisme est fondamentalement missionnaire, ça va se traduire dans les années 1960 par la création d’institutions religieuses qui veillent au rayonnement du wahhabisme à l’étranger. Le politique va mettre une partie de ses ressources financières grandissantes à la disposition de ces institutions.
Il existe cependant des réseaux de financement privés, para-étatiques ou complètement indépendants, qui pourront soutenir des acteurs qui ne sont pas officiellement soutenus par l’institution, qu’elle soit religieuse ou politique. L’Arabie saoudite n’est pas un Etat policier classique, tout n’y est pas sous contrôle. Ce n’est pas la Syrie ou l’Irak baassiste. LIRE LA SUITE DE L'ARTICLE