Il y a 40 ans, en septembre 1975, le célèbre mercenaire français foule pour la première fois de sa vie le sol comorien. Le double coup de f...
Il y a 40 ans, en septembre 1975, le célèbre mercenaire français foule pour la première fois de sa vie le sol comorien. Le double coup de force de 1975 et 1978 où il fait et défait les présidents des Comores l'installe au centre du jeu politique de l'archipel.
Les lunettes de Foccart… est une rubrique qui permet de plonger dans l'histoire de la Françafrique, et de remettre dans son contexte l'histoire de la décolonisation de l'Afrique.
3 août 1975 : Ali Soilih procède à un coup d'État sur l'île de Grande Comore. Il dépose Ahmed Abdallah, le leader politique qui a conduit l'archipel des Comores à l'indépendance quelques semaines plus tôt.
Depuis l'autonomie interne de 1961, Ahmed Abdallah siège au Sénat français, et travaille à l'accession des Comores à l'indépendance, à la suite de l'Afrique subsaharienne. Paris traîne des pieds, mais il obtient la signature des accords de Paris le 15 juin 1973 qui programment l'indépendance. Les derniers mois de Foccart à la tête du secrétariat général des Affaires africaines et malgaches de l'Élysée ont été consacrés, fait trop souvent oublié, à l'évolution juridique et institutionnelle des territoires d'outre-mer de l'océan Indien, notamment après la Révolution malgache.
Bob Denard aux Comores après le coup d'Etat de 1978 (DR) |
Installé à l'Élysée en mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing poursuit le processus amorcé depuis 1973 ; un référendum est organisé pour décembre 1974. L'objectif est de savoir si les Comoriens souhaitent rester Français ou prendre leur indépendance. Les trois îles de Grande Comore, Anjouan et Mohéli se prononcent pour l'indépendance tandis que Mayotte souhaite rester dans le giron français. C'est donc vers une division politique de l'archipel que s'oriente cette indépendance, ce qu'Ahmed Abdallah dénonce : il accuse le gouvernement français de Jacques Chirac de violer les règles du droit international en séparant Mayotte de l'archipel indépendant. La France entérine le maintien de Mayotte au sein de la République le 3 juillet 1975. En réaction, Ahmed Abdallah prononce unilatéralement l'indépendance des Comores (Grande Comore, Anjouan et Mohéli) le 6 juillet 1975.
C'est dans ce contexte tendu entre Paris et Moroni qu'Ali Soilih renverse Ahmed Abdallah, qui fuit la capitale Moroni (sur l'île de Grande Comore) pour regagner son fief sur l'île d'Anjouan. Nul doute qu'à cette date, Abdallah n'est pas dans les petits papiers de Paris. Aussi Ali Soilih comprend qu'il doit en profiter pour réduire sans attendre toute capacité de résistance de son adversaire reclu à Anjouan.
Yves Lebret, directeur de la compagnie Air Comores et proche de Soilih, prend en charge l'opération de recrutement d'une équipe de spécialistes capables de réduire la menace Abdallah. Il se rend à Genève pour s'ouvrir de son projet à des intermédiaires de confiance. En fin de chaîne, Georges Starkman, homme d'affaires et marchands d'armes, propose le nom de Bob Denard. C'est ainsi que le célèbre mercenaire débarque à Moroni et aux Comores pour la première fois, en septembre 1975. Selon Starkman, l'opération est montée à peu de frais.
Reportage Bob Denard, le sultan blanc des Comores (France Ô, 2012)
« Chien de guerre » au Katanga et au Congo entre 1961 et 1967, Denard est devenu dans les années 1970 un « expert » que se prêtent des chefs d'État africains « amis de la France » (Hassan II, Houphouët-Boigny, Bongo, etc.) au vu et au su des services secrets français avec lesquels il collabore depuis ses années congolaises. De sorte que l'appel de Soilih à Denard ne peut pas passer inaperçu aux yeux de Paris, dans le contexte de 1975.
Sur le tarmac de l'aéroport de Moroni, Denard débarque les quelques 300 fusils qu'il a amenés avec lui... sous les yeux des gendarmes français qui font mine d'ignorer son manège. Avec sept de ses hommes pour l'épauler dans son projet, il entraîne pendant quelques jours près de 200 Comoriens partisans de Soilih, baptisés « mapinduzi » (militaires militants). L'opération est déclenchée le 20 septembre 1975. Les avions de Lebret transportent les troupes de Grande Comore à Anjouan. Il ne faut pas plus de quelques heures à Denard pour s'emparer de l'île et de faire d'Abdallah son prisonnier. Ce dernier est contraint à l'exil en France. Le mercenaire, quant à lui découvre Anjouan qui lui apparaît comme un véritable paradis. Il rêve depuis longtemps d'un coin d'Afrique où installer sa base arrière : en 1975, il prend conscience de ce que pourraient représenter les Comores pour son projet.
Cependant, l'histoire n'est pas aussi simple. Certes, Abdallah est puni ; mais Paris a-t-elle clairement compris le programme de Soilih ? Ce dernier s'affiche farouche révolutionnaire aux accents ouvertement marxistes. Il lance notamment une réforme agraire de vaste ampleur. Bref, Les Comores indépendantes basculent sous un régime révolutionnaire : l'opération de Denard en 1975 accouche donc d'un régime « contraire à [ses] convictions de toujours. » Un euphémisme pour ce farouche nationaliste anticommuniste ; un contre-sens pour Paris qui, trop réjouie de voir Abdallah puni pour son geste de 1975, n'a pas compris que lui a succédé un authentique révolutionnaire aux antipodes de la politique africaine de la France, trois ans seulement après la Révolution malgache. Denard, dans ces conditions, quitte les Comores en promettant à Soilih de revenir.
Dès le mois de février 1977, Ahmed Abdallah, toujours en exil à Paris, reprend contact avec Denard pour lui demander d'organiser son retour au pouvoir. De l'aveu du mercenaire, l'affaire est pilotée par la cellule Afrique de l'Élysée, dirigée par René Journiac. Après le fiasco du coup d'État raté de Denard au Bénin en 1977 (compromettant Journiac, Hassan II, Bongo et Eyadéma par les documents qui sont oubliés dans la précipitation du rembarquement sur le tarmac), il se recentre donc sur les Comores. En mars 1978, l'opération «Atlantide» est lancée. Denard, a acquis avec l'aide du célèbre « Crabe-Tambour » le bateau Antinea. Son équipe se compose d'une cinquantaine de mercenaires : après avoir quitté Lorient et être passé par les Canaries, L'Antinéa double le Cap-de-Bonne-espérance, à destination (tenue secrète) de Moroni. Pour couverture, le mercenaire a créé une société offshore de recherche sismique et géophysique supposée se rendre en Terre-de-Feu. Le 13 mai 1978 au petit matin, L'Antinéa aborde la plage d'Itsandra, sur la côte de Grande Comore. En 4 heures, Moroni passe sous le contrôle des mercenaires et Ali Soilih est fait prisonnier.
Ali Soilih prisonnier en 1978 (Comores-online) |
Il sera tué quelques jours plus tard : officiellement au cours d'une tentative d'évasion. Dans les faits, les circonstances de sa mort restent obscures et certains y voient la main des mercenaires. Ahmed Abdallah devient le maître du pays, mais doit faire face à un double enjeu : redresser une situation économique rendue exsangue, d'une part, et, d'autre part, manoeuvrer face au pouvoir que représentent les mercenaires qui ont fondé la Garde présidentielle (GP), véritable État dans l'État reconnaissable à ses uniformes noirs.
Après avoir découvert les Comores en 1975, Denard en fait sa base arrière à partir de 1978. L'histoire des Comores du 13 mai 1978 au 26 novembre 1989, date de la mort par balles d'Abdallah dans des conditions troubles et en présence du mercenaire, est dès lors indissociable de l'histoire de Bob Denard et de la GP aux Comores.
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JEAN-PIERRE BAT 13 SEPTEMBRE 2015