Les deux leaders accusent le gouvernement de complot électoral et de manque de sérieux
Y a-t-il un pilote dans l'avion électoral comorien? Il est impossible de répondre de manière affirmative à cette question parce que, même avec toute la pudeur du monde, on est obligé de constater le plus grand crash électoral des Comores aujourd'hui. Ce crash est là, et les pauvres passagers essaient de sauter de l'avion un à un, mais pour tomber de Charybde en Scylla car ce n'est pas en sautant d'un avion qui tombe qu'on arrive à sauver sa vie. Les Comoriens assistent à quelque chose d'horrible. Le processus électoral des Comores pour les années 2015-2016 est un «fiasco», et Ahmed Wadaane Mahamoud, Président du Parti RIFAID Comores, un acteur politique qui connaît le sens et la valeur des mots, n'a pas peur d'utiliser ce concept qui renvoie les Comores à toutes leurs contradictions.
Pour tout dire, les autorités comoriennes viennent de provoquer une forte et regrettable régression en matière électorale parce qu'elles n'ont pas voulu être sincères et réalistes. Les Comores viennent de rater une belle occasion de se comporter en pays institutionnellement et électoralement civilisé, malgré la volonté manifestée par le Président Ikililou Dhoinine d'organiser d'élections transparentes, démocratiques et libres. La biométrie, qui était censée être un label de crédibilité des scrutins, est devenue la mère de tous les fiascos électoraux, le père de toutes les veuleries.
Face à cet échec retentissant, et en dépit des plaintes qui tombent contre les sites Internet et les blogs comoriens à la suite des démarches judiciaires entreprises par les acteurs politiques comoriens eux-mêmes, il n'est plus possible de se taire. La sagesse et le réalisme voudraient que toute la mascarade électorale en cours soit stoppée tout de suite pour arrêter de se moquer ouvertement des Comoriens. Ahmed Wadaane Mahamoud est pour cette solution. Sur ce sujet, il a été très explicite au cours de son intervention au Journal télévisé de la chaîne panafricaine Africa 24 ce vendredi 23 janvier 2015. Son intervention a été précédée d'un reportage qui montre cette calamiteuse organisation des élections dans l'improvisation totale et dans l'amateurisme des institutions publiques chargées de la tenue de ces scrutins.
Les journalistes d'Africa 24 ont même interrogé au téléphone Maître Fahmi Saïd Ibrahim, Président du Parti de l'Entente comorienne (PEC), allié de l'ancien Président Ahmed Sambi contre le Président Ikililou Dhoinine, et candidat à l'élection présidentielle de 2016. Maître Fahmi Saïd Ibrahim a commencé par reconnaître que des efforts ont été faits pour la tenue des scrutins, avant de sortir ses armes de destruction électorale massive et tirer à boulets rouges sur l'appareil d'État, qu'il accuse d'un certain nombre de crapuleries. Ce qu'il dit à ce sujet est destiné à être mieux connu: «Je tiens très honnêtement à saluer le Président Ikililou [Dhoinine], qui malgré les conseils de certains très proches collaborateurs, qui souhaitaient que les élections n'aient pas lieu, le chef de l'État a tenu bon et, par honnêteté intellectuelle, je me dois de saluer la tenue de ces élections. Mais, maintenant, il est vrai que ce ne sont pas vraiment les meilleures conditions optimales. Les conditions ne sont pas réunies. […]. Ils ont donné à une société française nommée GEMALTO la mission de récolter une base de données nouvelle, et moi, j'ai essayé depuis 6 mois, 8 mois, de dire pourquoi cette opportunité de créer encore une fois une nouvelle base de données, alors qu'il en existe déjà. Pourquoi ont-ils voulu dépenser 2 milliards pour donner à une société alors qu'il y a déjà un opérateur existant? En réalité, c'était uniquement pour se partager de l'argent.
Et j'accuse maintenant le gouvernement d'avoir trompé le peuple comorien […] et les cartes qui ont été envoyées par cette société GEMALTO, en réalité, ne sont pas biométriques. Et là, je suis formel là-dessus: ce ne sont pas des cartes biométriques». Même les bébés en couches-culottes savent que quand Maître Fahmi Saïd Ibrahim parle de «certains très proches collaborateurs» du chef de l'État, il ne vise en réalité qu'un seul homme: Hamada Madi Boléro, avec qui il a toujours eu des rapports en dents de scie, devenues des relations pourries, surtout depuis 2010, quand l'actuel Directeur du Cabinet du Président de la Défense militait pour la tenue de l'élection présidentielle de 2010 en temps et en heure, donc avant le 26 mai 2010, pendant que Maître Fahmi Saïd Ibrahim s'était résolument rangé dans le camp d'Ahmed Sambi pour torpiller cette élection qui devait porter un Mohélien à la tête de l'État comorien. Hamada Madi Boléro était l'un des 10 candidats à ce scrutin présidentiel. Cela explique beaucoup de choses…
C'est après l'intervention de Maître Fahmi Saïd Ibrahim que la présentatrice du Journal télévisé commença à «cuisiner» le perfectionniste Ahmed Wadaane Mahamoud, qui veut tout améliorer. Voici la transcription intégrale de cette belle et intéressante interview.
Africa 24: Monsieur Mahamoud, ces élections vont donc avoir lieu ce 25 janvier. Quel est l'enjeu de ces scrutins?
Ahmed Wadaane Mahamoud:D'habitude, on sait très bien que les élections législatives, il s'agit d'élire les Députés. Le rôle des Députés, c'est de parlementer. C'est de discuter les lois, c'est de contrôler le gouvernement. Mais, je tiens à préciser que cette année, la préparation de ces élections a été dominée par le désordre.
Africa 24: Venons-en justement. Comme nous l'avons vu sur le reportage, un certain flou entoure l'organisation de ces élections. Doutez-vous de la crédibilité de ces scrutins?
Ahmed Wadaane Mahamoud: Je dois dire que c'est la pagaille qui domine, au point qu'on peut dire, sans risque de se tromper, que ces élections risquent d'être un fiasco. Pourquoi? Parce qu'on a investi plus de deux milliards pour préparer ces élections. Or, tout le monde constate qu'avant, dans les temps anciens, on parlait de «bourrage des urnes». Avec le système biométrique, aujourd'hui, on parle de «cartes biométriques qui ne sont pas biométriques», en réalité. Et de deux, de nombreux électeurs n'ont pas leurs cartes. Et qu'est-ce qu'on nous dit? On nous dit: «Aujourd'hui, celui qui n'a pas reçu sa carte d'électeur et qui n'a pas de pièce d'identité ou sa carte d'identité nationale, il peut se présenter à un bureau de vote, et si jamais il figure sur les listes électorales, en ce moment-là, on va vérifier à partir de sa photo pour l'autoriser à voter». Cela signifie qu'on veut légaliser les irrégularités.
Africa 24: C'est donc le système biométrique qui était censé assainir le processus électoral qui pose problème. Étiez-vous favorable à la mise en place de ce nouvel outil?
Ahmed Wadaane Mahamoud:Nous sommes en présence d'un système nouveau, d'informatisation, de biométrie. C'est un phénomène mondial. Mais, ce que je tiens à préciser, c'est que, on s'est arrangé: les quelques cartes fabriquées, les quelques cartes imprimées, on les a imprimées en double, au point qu'aujourd'hui, on parle de 20.000 cartes doubles. Cela signifie qu'un électeur peut se permettre d'aller voter dans un bureau de vote et aller dans un autre bureau de vote pour émettre un vote. Voilà qui fait douter du sérieux et de la sincérité du scrutin.
Africa 24: Alors, Monsieur Mahamoud, ces élections législatives ont été reportées à deux reprises, officiellement, par manque de financement. Pourtant, le pays reçoit beaucoup de subventions de ses partenaires. Comment expliquez-vous un tel paradoxe?
Ahmed Wadaane Mahamoud: C'est une pagaille, et la pagaille est entretenue depuis plusieurs mois. Et c'est la raison pour laquelle il aurait été sage, bénéfique, pour le pays de reporter ces élections. Mais, aujourd'hui, l'opinion internationale est là. Elle va constater, de fait, que les élections se déroulent. C'est un pays paisible, mais la réalité, c'est que les urnes elles-mêmes ne parleront pas du sérieux du vote.
Le constat d'échec est là. Cinglant et impitoyable. Encore une fois, il serait juste d'appeler les autorités comoriennes à plus de maturité et de réalisme pour qu'elles organisent une réunion de crise avec les partenaires internationaux du pays et les partis politiques pour un report pur et simple de ces élections qui, si elles sont organisées dans les conditions actuelles, vont faire jeter la fange et l'opprobre sur l'État comorien et diviser le pays, tout en donnant à Ahmed Sambi l'occasion d'aller pérorer et ricaner sur la place publique. Arrêtez ces scrutins!
ARM
© lemohelien – Samedi 24 janvier 2015.
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