Depuis le début des années 1980, les mouvements migratoires comoriens à destination de la France se sont intensifiés. En réalité, ces flux ...
Depuis le début des années 1980, les mouvements migratoires comoriens à destination de la France se sont intensifiés. En réalité, ces flux humains échappent aux statistiques des autorités comoriennes et françaises. Cependant, les estimations les plus courantes considèrent qu’entre 150 000 et 250 000 Comoriens, soit 25 à 35 % de la population totale de l’Union des Comores, résident en France métropolitaine. Ces migrants entretiennent de forts liens avec leur pays d’origine.
Les estimations de la Banque Centrale des Comores (B.C.C) attestent que les mouvements de transferts d’argents des Comoriens de France ne cessent d’augmenter d’une décennie à une autre. Ces flux financiers seraient passés de 14,8 milliards de FC en 2000 à 45 milliards de FC en 2010, pour culminer à 59 milliards de FC en 2013. Durant cette période, la contribution de la diaspora dans le PIB comorien serait passée de 16,8 à 25,8 %. Notons que ces sommes d’argent constituent la principale source de devises du pays loin devant l'aide publique au développement et les investissements directs étrangers.
Des effets à double tranchant
Les impacts de la rente migratoire sur les économies récipiendaires sont ambigus et complexes. Ils dépendent de plusieurs facteurs économiques, financiers et institutionnels. Plusieurs effets positifs ont été avancés par certains spécialistes des questions migratoires. A court terme, ces transferts améliorent le bien-être des familles bénéficiaires. A long terme, ils favorisent l’accumulation des capitaux physiques, financiers et humains des pays receveurs, ce qui leur permet de disposer de capacités de production plus larges et donc des perspectives de croissance plus importantes. Au-delà de ces avantages incontestables, ces mouvements financiers pourraient avoir des aspects négatifs sur les économies bénéficiaires.
En effet, ils pourraient créer un problème d’« aléa moral » en incitant les bénéficiaires à se reposer sur cette source de revenu et donc à fournir moins d’efforts pour chercher à travailler. Un tel comportement pénalise la production nationale au profit des produits importés. Ceci entraîne des pressions inflationnistes lesquelles accentuent les inégalités et menacent la cohésion sociale, car ces flux monétaires ne sont pas, loin s’en faut, uniformément répartis dans toutes les zones géographiques et les couches sociales des pays receveurs.
Effets « boomerang » pour l’économie comorienne
Pour le cas particulier des Comores, les effets globaux de ces devises sur leur économie restent à déterminer. Certes, ces devises soutiennent la balance des paiements, aident les familles receveuses à lisser leurs consommations, desserrent les contraintes de financement de l’économie et relèvent le niveau du capital humain (niveau d’instruction), l’un des principaux leviers de la croissance économique. Cependant, l’examen de certains indicateurs macroéconomiques du pays semble indiquer que ces flux monétaires provoquent des effets pervers « mal hollandais » sur la production nationale. En effet, touchés par le « syndrome » de l’assuré qui, inconsciemment, prend moins soin de sa voiture car il est persuadé que les dégâts lui seront remboursés, les Comoriens se reposent trop sur les apports monétaires des Comoriens résidents à l’étranger (CRE). A cet égard, ils fournissent moins d’efforts pour travailler.
Ce constat est beaucoup plus perceptible dans les milieux ruraux de la Grande-Comore où les jeunes préfèrent l’oisiveté aux métiers liés à l’agriculture, étant tous rassurés de recevoir de l’aide d’un parent vivant à l’étranger qui leur permet de vivre plus au moins confortablement. Ainsi, rentiers de la manne migratoire, les ménages comoriens consomment plus qu’ils ne produisent. Les données publiées par les institutions nationales et internationales s’accordent sur le fait que ces dernières années, la production nationale (PIB) est largement supplantée par la demande des ménages comoriens. A titre illustratif, la demande intérieure représentait plus de 125 % du PIB comorien en 2005, ce qui prouve que l’offre intérieure peine à réagir à la demande supplémentaire induite par les apports financiers de la diaspora.
De nos jours, les Comores dépendent largement de l’extérieur pour nourrir leur population. Cette dépendance augmente en même temps que la manne migratoire. L’autosuffisance alimentaire reste donc un rêve à réaliser. Pour exemple, l’archipel des Comores importe même des produits dont il fut un temps exportateur comme la noix de coco. Par conséquent, les importations ne cessent d’augmenter au détriment de la balance commerciale. En 2013, le déficit commercial était de 69 milliards de FC. Cette situation nous conduit à conclure que les Comores sont devenus une zone où l’argent des migrants transite pour se diriger vers d'autres pays plus à même de les fructifier.
Autrement dit, ce sont les économies de nos partenaires commerciaux (Dubaï, Chine, Kenya, Tanzanie, etc.) qui sont les vraies bénéficiaires des apports financiers des migrants comoriens. Pour ce faire, les décideurs économiques et politiques devraient réfléchir aux voies et moyens qui permettraient aux Comores de tirer le maximum de profit de cette manne financière. Plusieurs pistes sont à exploiter. Les auteurs de cet article se proposent d’esquisser quelques unes dans une autre publication à venir.
ZOOM :
Abdou KATIBOU, économètre de formation et docteur en économie, après avoir soutenu à l’Université de Paris1 Panthéon-Sorbonne une thèse portant sur les migrations comoriennes et leurs conséquences économiques. Il a publié plusieurs articles relatifs à cette thématique dans des revues scientifiques spécialisées.
Darchari MIKIDACHE, économiste fiscaliste de formation, inspecteur des finances publiques, est le principal animateur du Club de réflexion « Cercle des Économistes et des Experts Comoriens (CEEC) » en tant que président. S’intéressant depuis plusieurs années aux problématiques et aux défis de développement économique de l'Afrique en particulier des Comores, il a publié plusieurs articles économiques en proposant des pistes de réformes novatrices pour un meilleur développement des Comores.