Mayotte. La responsabilité médicale mise en cause sur fonds d’homicide involontaire

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Les affaires d'homicide involontaire sont plutôt rares à la barre du tribunal correctionnel de Mayotte et celle-ci soulève de nombreuses...

Les affaires d'homicide involontaire sont plutôt rares à la barre du tribunal correctionnel de Mayotte et celle-ci soulève de nombreuses questions. Responsabilité des praticiens, désert médical, erreur de diagnostic ou pathologie terrifiante oubliée ? Des médecins sont mis en cause dans la disparition tragique d'une femme, laissant aujourd'hui un mari seul et éploré…

Les faits se déroulent en juillet 2012, Nathalie Wozniak se plaint de douleurs abdominales et passe une échographie qui révèle quelques soucis. Elle s'est donc rendue chez un médecin à Combani qui assurait un remplacement dans le cabinet et qui lui a préconisé de passer un scanner très rapidement. La patiente s'est alors exécutée et le 22 juillet 2012, elle est retournée voir le praticien avec ses clichés. Immédiatement, le docteur a décelé de graves anomalies, faisant penser à un cancer du pancréas et du foie ainsi qu'à une thrombose dans une veine profonde des poumons.



Ne pouvant en sa qualité de généraliste diagnostiquer un traitement, il enverra Madame Wozniak au centre hospitalier de Mamoudzou pour d'autres examens mais non sans résumer ses craintes par mail au responsable chargé des accueils au service cancérologie. Lui aussi était un généraliste, pas un cancérologue, mais il préconisera d'inscrire en séance de visioconférence avec les spécialistes réunionnais, ce dossier délicat. Le 27 juillet, la réunion s'est déroulée, le cas du cancer généralisé a été évoqué avec un tableau dressé très noir, il ne restait que très peu de temps à vivre à la malheureuse. Le cancérologue remplaçant du CHM, puisqu'il n'y a pas de professeur de ce type en poste à Mayotte, diagnostiquera une biopsie, un prélèvement fait par aiguille d'un petit morceau du foie. Elle sera réalisée le 3 août et aura été mal effectuée. Il renverra la patiente chez elle demandant à ce qu'elle soit placée sous surveillance. La maison médicale de Combani étant à côté du domicile, il n'y avait donc selon lui pas de problèmes particuliers. Or, la souffrante a commencé à ressentir et à se plaindre de fortes douleurs abdominales laissant songer à des conséquences de la biopsie. Le 4 août 2012, son époux se rendra à l'aéroport chercher ses enfants, spécialement venus dire au revoir à leur mère sur le point de s'en aller puisqu'il ne lui restait que quelques semaines à vivre. Mais au retour de Petite-Terre, la famille découvrira la malheureuse sans vie.


Le 5 août, le mari devenu veuf a déposé plainte, pressentant que quelque chose s'était produit. Une enquête préliminaire a été ordonnée, puis une information judiciaire ouverte après autopsie du corps. Les analyses démontreront avec certitude les causes de la mort : une embolie pulmonaire générée par la thrombose. Le cancer n'était donc pas en cause, ni la biopsie ratée. Et le rapport d'expertise commandée sera sans appel. Le cancer exposait très fortement la patiente à l'embolie en raison de ce caillot de sang obstruant une artère qui apparaît couramment avec les cancers du pancréas. Et dans ce type de cas, qui est d'école, il est fortement préconisé de prescrire des anti coagulants qui désépaississent le sang pour éviter l'embolie. Or, aucun traitement, aucune prescription de ce type n'avait été délivrée par les 2 généralistes ou le cancérologue ou les spécialistes à La Réunion. Et l'expert ajoute : "il y a manifestement eu négligence de l'ensemble de la chaîne médicale, les soins n'ont pas été conformes".


Entendus par le juge d'instruction, les médecins expliqueront tour à tour : "je me suis focalisé sur le cancer et je n'ai prescrit aucun soin pour la thrombose. Je suis d'accord avec l'expert, des anti coagulants auraient pu permettre à la patiente de vivre plus longtemps…"

Voilà pour le premier, un second dira : "je pensais que l'attentisme était préférable dans son état, j'ai pensé qu'il était plus humain de la laisser rentrer chez elle sous surveillance …"

Et un autre d'ajouter semant le trouble : "il ne sert à rien d'ajouter des jours à la vie, il faut donner de la vie aux jours…"

En clair, un médecin généraliste a décelé un cancer et une thrombose qui pouvait tuer la patiente mais n' rien prescrit contre ce caillot de sang, il l'a seulement envoyée au CHM où un autre généraliste qui n'était pas cancérologue a constaté l'état très avancé de la maladie mais ne savait à l'époque pas que le cancer du pancréas génèrait souvent une thrombose pouvant entraîner une embolie mortelle. Il a alors transmis à un cancérologue remplaçant du CHM le dossier qui lui non plus n'a pas vu, ne voit donc pas la nécessité de traiter la thrombose en même temps que le cancer.

Où est la faute ? C'est ce qu'a cherché à définir l'audience d'hier matin, car Madame Vozniak qui était certes en fin de vie aurait pu encore se battre et dire au revoir aux siens si elle avait été soignée. C'est en tout cas ce qu'a soutenu Maître Chauvin, le défenseur du mari aujourd'hui seul.

Le président Jean-Pierre Rieux a tout d'abord interrogé les mis en cause, leur demandant pourquoi ils n'avaient pas prescrit des anticoagulants pour éviter l'embolie.

Les premières réponses ont quasiment toutes été les mêmes, l'état de la patiente ne permettait pas une médicamentation qui traitait un autre mal. "Le traitement dure entre 3 et 6 mois, il ne servait donc à rien" a expliqué le 1er généraliste suivi par le second du CHM : "le produit ne fait effet qu'au bout de 48 heures et nécessite une hospitalisation, j'étais médecin de jour, je n'avais pas de lit, il aurait fallu que je l'envoie aux urgences."

Le cancérologue remplaçant pour sa part reprendra les mêmes arguments, ce cantonnant toutefois au lendemain de la biopsie : "il m'est interdit de donner des anticoagulants à une personne qui a subi ce type d'intervention pendant 12 heures."

Bien évidemment, les magistrats n'avaient pas oublié que la biopsie s'était déroulée le 3 août et que le spécialiste avait vu le 27 juillet pour la première fois Madame Wozniak. Pourquoi n'avait-il donc pas suivi la règle en délivrant les médicaments pour soigner la thrombose ?

Et les choses ont commencé à tourner à la contradiction car sa réponse aura marqué un virage : "c'est une question de sémantique, si on m'avait dit embolie, j'aurai immédiatement traité aux anticoagulants. Mais il était écrit thrombose, or, celle-ci provoque l'embolie. Si vous me dites thrombose, je pense jaune et si vous me dites embolie, je pense rouge…"

Le spécialiste n'avait donc plus prescrit les produits en raison du mauvais état de santé de la souffrante, mais parce que les mots employés n'avaient pas été les bons. La crédibilité du discours a alors commencé à s'effriter et cela s'est poursuivi avec un nouveau pied pris dans le tapis.

Le juge Rieux qui n'est pas médecin a alors demandé, de nouveau, si les anticoagulants étaient contre indiqués pour les patients souffrant du cancer et la réponse est tombée, unanime de la bouche des médecins : "non, absolument pas !"

Alors pourquoi avoir dit que les anticoagulants n'avaient pas été recommandés en raison de l'état de santé trop fragile de Madame Wozniak ? Tous reconnaîtront sans véritablement l'avouer de manière ultra formelle qu'ils s'étaient focalisés sur le cancer, la plus grosse pathologie et avaient délaissé la seconde.

La brèche était suffisamment grande pour permettre à Maître Julien Chauvin de s'y engouffrer en remerciant tout d'abord les mis en cause d'être venus à l'audience. Cela lui aura permis de voir les différences dans les déclarations faites au juge d'instruction et celles livrées à la barre tout en martelant : "il vous appartenait de dire à quel moment il fallait donner le traitement" (…) "Ils reconnaissent qu'il y a eu erreur et il n'y a pas eu débat sur le sujet avec l'expert" (…) "Ils n'ont pas fait preuve d'un attentisme attentif puisque l'embolie était là et que la thrombose était déjà détachée. Quelle attention ont-ils porté ?" – "qui aurait dû faire quoi ? À la question, chacun se renvoie la balle, mais vous savez, les conséquences juridiques et financières pour vous ne seront pas si graves, c'est pourquoi vous devriez donner les réponses que mon client attend. N'a-t-on pas abrégé ce temps qui lui restait à vivre ? N'-y-t-il pas eu entente ? C'est ce qu'il veut savoir ? Nous ne sommes pas dans un cas d'erreur de diagnostic, l'embolie, on y pense toujours, c'est vous-même qu'il l'avait dit tout en ajoutant qu'il ne fallait pas attendre pour lancer le traitement. Et l'absence de signes cliniques ne peut justifier l'absence de ce traitement !"

Les mots ont claqué dans la petite salle d'audience avec un dernier coup de boutoir de Maître Chauvin : "les anticoagulants auraient pu lui permettre de vivre un peu plus longtemps pour dire au revoir à ses enfants, cela n'a pas été le cas. Monsieur le président, je vous demande de vous mettre en mode condamnations et eu égard aux demandes de relaxe déposées, nous portons l'affaire au civil".


La parole a ensuite été donnée au procureur de la République Joël Garrigue pour ses réquisitions. Et il s'est appuyé sur le rapport d'expertise accablant, sur l'autopsie conformant bel et bien que la mort était dûe à l'embolie causée par la thrombose non soignée. Il rapportera encore les premières déclarations des médecins avouant s'être focalisés sur ce cancer qui n'était pas la cause de la mort


"Il y avait deux pathologies, vous avez fait le choix de n'en traiter qu'une, la plus importante" (…) "Oui, elle allait mourir, mais elle a été tuée par négligence. Il y avait deux remplaçants et un qui n'était pas à sa place, c'est peut-être là une partie du problème" (…) "Pour le premier médecin généraliste, je ne suis pas sûr que vous puissiez retenir sa responsabilité, mais les médecins du CHM ont fait le choix de ne pas traiter l'autre signe qui était présent" (…) "Si on avait dit à Madame Wozniak qu'elle avait un risque d'embolie, elle aurait eu le choix d'un traitement qui aurait pu lui permettre d'ajouter des jours à sa vie…"

Joël Garrigues de manière subtile a estimé en conclusion que des peines de prison même avec sursis ne produiraient pas leurs effets, c'est pourquoi il a requis des amendes de 10 000 euros avec sursis "pour donner à leur acte une juste réponse". Le jugement a été mis en délibéré.

La voix de la défense

Maître Casal défendait le généraliste de Combani et ses mots ont frappé fort estimant qu'il y avait eu une indigence juridique à renvoyer cette affaire devant un tribunal. "Je n'ai jamais vu une faute caractérisée dans ce dossier et je ne peux pas admettre que le procureur de la République dise qu'ils ont causé la mort de la patiente. Madame Wozniak est malheureusement morte de sa maladie, les thromboses étant les conséquences de son cancer. Il n'y a donc pas de faute caractérisée qui revient à dire faute inexcusable. Mon client a envoyé la souffrante voir des spécialistes et s'est inquiété de son état de santé, il a été remarquable c'est pourquoi ce constat appelle la relaxe."

Source : FRANCE MAYOTTE matin
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