Madagascar espère tourner la page des années de misère

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Depuis la crise de 2009, la population malgache a sombré dans la pauvreté. Dans la capitale, Tananarive, les habitants vivent au jour l...

Depuis la crise de 2009, la population malgache a sombré dans la pauvreté.
Dans la capitale, Tananarive, les habitants vivent au jour le jour.
Le nouveau président malgache, Hery Rajaonarimampianina, a le soutien de la Communauté internationale.


« Nous, les Malgaches, nous avons trois problèmes : le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner », affirme Pascal, client du « Tsikivy »(« Ne jamais désespérer » en malgache), petit bar du quartier populaire de Manarinstopha, dans le nord de Tananarive. Et pour oublier « ses problèmes », Pascal boit du mauvais rhum, tous les jours, beaucoup. « Il est moins cher que la bière et il est plus alcoolisé », explique-t-il avant de regagner la rue.

Véronique, la tenancière du « Ne jamais désespérer » le regarde partir sans un sourire. Elle écoute, en attendant un autre client, Jean-Jacques Goldman chanter à tue-tête, à travers deux enceintes cachées dans la pénombre de la salle en bois, « Quand la musique est bonne ».

Au-dessus d'elle, les bouteilles sont impeccablement alignées les unes à côté des autres, protégées par un grillage de la convoitise des voleurs et des ivrognes. « Depuis 2009, depuis la crise politique, on s'appauvrit, on sombre dans le désespoir », constate-t-elle. « Une fois le loyer de la maison, l'électricité, l'eau et la scolarité des enfants payés, il ne nous reste plus d'argent. C'est dur pour tout le monde. Devant les problèmes qui s'accumulent, beaucoup d'hommes du quartier viennent ici oublier leurs difficultés en se noyant dans le rhum. Dès qu'ils dépassent les bornes, je les mets dehors. Mais leur nombre ne cesse d'augmenter. Avant, les hommes passaient ici pour boire un coup, entre copains. Maintenant, ils sont de plus en plus nombreux à venir se saouler, seuls. C'est affolant ».

À côté du « Ne jamais désespérer », une autre Véronique offre ses services. Véro a 37 ans, deux dents et trois enfants. Elle tient un « coposé » : sur une planche de bois, un plat de pâtes, une salade de carottes, une salade de concombres et de tomates, et du piment. « Pour 200 ariary (un peu moins d'un euro), je sers une cuillère de chaque plat dans un bol. Pour 100 ariary, c'est dans une sous-tasse », explique-t-elle.

Derrière elle, une porte en bois protège son logement : une pièce de moins de 4 m2 occupée entièrement par un lit. « J'en ai assez de cette vie, c'est trop dur », dit cette Fantine malgache. Une femme s'approche d'elle et lui tend un billet de 100 ariary qu'elle vient de gagner en mendiant un peu plus loin. En trois minutes, elle absorbe sa sous-tasse de « coposé » et repart, pieds nus.


« JE VEUX QUE L'ON ME RESPECTE ! »

Au tour de Vincent de Paul de tendre son billet. Il est maçon, il a 42 ans. Lui aussi est pieds nus.« Mon patron a fermé boutique en 2010. J'ai tout perdu à mon tour : travail, maison, famille. Je dois me débrouiller seul. Alors j'accepte tous les boulots : porteur d'eau, docker… tout ce que je trouve. Dès que j'ai un peu d'argent, je viens ici. Si je n'ai pas trouvé de travail, je ne mange rien. C'est tout ».

Un passant, le regard vitreux, s'approche de Véro, un rasoir à la main. « Je veux que l'on me respecte, crie-t-il, comprenez-vous, que l'on me respecte ». L'homme est ivre et violent. Il menace de son rasoir un passant imaginaire. Des voisins s'interposent et le conduisent à l'écart. « Charles, c'est son prénom, est boulanger. Il se lève tous les matins à 5 heures. Avant, c'était un homme correct. Mais il a de moins en moins de travail. Alors, il boit »,explique Véro.

Charles a rejoint sa femme qui étend du linge à une dizaine de mètres de là. Elles sont plusieurs à faire de même dans une cour remplie de détritus. Et elles racontent toute la même histoire : leurs maris n'ont plus d'emploi fixe depuis 2009. Ils partent tôt le matin pour chercher du travail. Ils rentrent tard le soir, parfois sans un sou, souvent éméchés. Elles, elles lavent du linge ou portent de l'eau pour une poignée d'ariary. Leur obsession ? Trouver de quoi nourrir les enfants. Leur plus grande crainte ? Tomber malade.


LE VENTRE VIDE, LA VIOLENCE DANS L'AIR

Ces histoires, on les trouve partout à Tananarive. Ainsi au quartier 67 Hectares, rue Coum. Le quartier est moins pauvre que Manarinstopha : route goudronnée, eau courante, immeubles moins insalubre, marchés couverts. Et pourtant,la vie est difficile pour Emandine, 24 ans, salariée d'un opérateur téléphonique. Dans sa petite boutique, elle vend des cartes téléphoniques, des clés USB et des clés 3 G. Elle travaille 6 jours sur 7, de 7 h à 20 h.

Tout son salaire passe dans son loyer et sa nourriture. Aînée d'une famille de la classe moyenne de Tananarive, Emandine était étudiante en deuxième année d'études commerciales, en 2010. Mais ses parents n'ont plus eu les moyens de payer ses études. Alors elle a trouvé ce travail. Depuis, elle se débrouille seule et vit au jour le jour.

Son voisin, Frédéric, 46 ans, tient une petite épicerie. Comme Emandine, il constate que les gens sont de plus en plus violents entre eux : « c'est devenu la guerre de tous contre tous. La ville est aujourd'hui quadrillée par des bandes de voyous, les Jiolahy. Avec le temps, on apprend à serrer les dents ».

Si l'on s'éloigne de la capitale, la situation des habitants n'est guère meilleure. À écouter les enfants du collège d'Ampangabe, à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale, le tableau est sombre : « Je pense à ma vie d'avant 2009, témoigne Nadia, 14 ans. Je ne pensais pas à la nourriture, mes parents étaient plus sereins et disponibles, je jouais à mes moments perdus. Mais aujourd'hui, j'ai le ventre vide et dès que j'ai un moment de libre, je fais des petits boulots pour rapporter un peu d'argent ».« Notre village n'est plus en sécurité, comme avant, ajoute Lova, 14 ans. Nous avons peur d'être attaqués, il y a plus de violence entre nous, et il y a plus d'ivrognes dans la rue ».


« L'HOMME DU MOMENT »

Face à cette réalité, que peut-on attendre du nouveau président malgache, Hery Rajaonarimampianina, investi le 25 janvier ? Si la quasi majorité de la population ne croit plus en son élite politique (le taux de participation au deuxième tour de l'élection présidentielle en décembre 2013 a été de 50,76 %), la communauté internationale affiche, elle, sa confiance dans les qualités du nouveau président. À commencer par la France. « Depuis des années, il est la meilleure chose qui soit arrivée à ce pays. On peut même dire que l'on assiste à une forme de miracle à la tête de l'État », confie un diplomate français.

« Hery est extrêmement compétent, estime Haleh Z. Bridi, la directrice des opérations à Madagascar de la Banque mondiale ; c'est un technocrate qui est devenu politicien. Ministre du budget sous Andry Rajoelina, il a su tenir les finances, éviter l'endettement et stabiliser le taux de change. Je pense qu'il est l'homme du moment ». Du côté de l'Union européenne, on partage cette confiance. « Il a de vraies compétences de gestionnaire. Nous devons lui faire confiance pour sortir Madagascar de la crise dans laquelle elle sombre depuis 2009 »,dit un représentant de l'Union européenne à Tananarive.

Fort de ce soutien, Hery Rajaonarimampianina peut espérer un retour rapide de l'aide internationale, une fois un premier ministre nommé, dans les prochains jours. « Mais,prévient un économiste, s'il veut relancer les exportations de Madagascar et attirer les devises extérieures, le nouveau président va devoir dévaluer sa monnaie. Il le sait, la population, pas encore. Que va-t-il se passer, le jour où elle l'apprendra ? »
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La détérioration des conditions de vie depuis 2009


Le coup d'État d'Andry Rajoelina, en 2009, a mis à la tête de l'État malgache une équipe de dirigeants plus empressée de s'enrichir que de servir l'économie et le développement de la grande île.

Il a aussitôt été sanctionné par la communauté internationale, qui a suspendu une grande partie de ses aides financières.

Les conditions de vie des Malgaches n'ont cessé de se détériorer depuis. Selon la Banque mondiale, 92 % de la population vivrait aujourd'hui avec moins de deux dollars (1,48 €) par jour, contre 68 % en 2005. Un décrochage spectaculaire qui plonge des millions de personnes dans la plus grande des précarités.

LAURENT LARCHER - Lacroix (à Tananarive)
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