«La Communauté comorienne de Marseille est pour la diversité dans le respect». www.lemohelien.com : Partant d’un constat amer sur ...
«La Communauté comorienne de Marseille est pour la diversité dans le respect».
www.lemohelien.com: Partant d’un constat amer sur le manque de visibilité de la diversité en général, et de la Communauté comorienne en particulier au sein du milieu politique, social et économique les Comoriens de Marseille et d’autres communautés ont créé le Collectif des Indignés de la Cité Phocéenne. Est-ce un gadget politique de plus ou plutôt une nouvelle plateforme de concertation et de travail, qui apportera du sang neuf à des communautés manquant visiblement de lisibilité politique?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Nous avons décidé de créer le Collectif des Indignés de la Cité Phocéenne pour faire la politique avec plus d’efficacité, dans un esprit d’unité et de solidarité, tout en évitant le communautarisme. Nous avons posé les principes de base d’un projet commun afin de faciliter l’insertion sociale, culturelle, économique et politique. C’est un Collectif qui transcende les limites de la grande Communauté comorienne de Marseille, et qui est ouvert à des groupes venus de plusieurs horizons ethniques. La Communauté comorienne est la plus importante de toutes les communautés d’origine étrangère. Elle est au coude à coude avec celles des trois pays du Maghreb réunies (Maroc, Algérie et Tunisie) et compte plus de 80.000 personnes, soit le 10ème de la population de Marseille. Certaines statistiques font état de plus de 120.000 Comoriens à Marseille. Au surplus, notre Collectif présente l’originalité et l’avantage de réunir en son sein des personnes venues de tous les bords politiques. Au regard des Comores, on retrouve des membres venus des quatre îles. De ce point de vue, c’est une réussite et un motif de fierté.
www.lemohelien.com: Pouvez-vous citer certaines des personnes qui forment l’ossature de ce Collectif et qui prouvent qu’il est ouvert à toutes les sensibilités politiques?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Même si la liste n’est pas exhaustive, je peux citer de mémoire Djamila Saïd (Verts), Ibrahim Mzé (Front de Gauche), Saïd Hamada (Porte-parole du Modem dans toute la Région PACA), Noro Assan Hamadi (UDI), Mahmoud Mohamed (PS), Farid Soilihi (sympathisant de Gauche, longtemps militant du Parti socialiste), Elisabeth Saïd (Conseillère municipale de l’ump) et Nassurdine Haïdari (Conseiller de secteur du PS). Il y en a d’autres issus de la société civile.
www.lemohelien.com: «Conseillère municipale», «Conseiller de secteur», ça ne manque pas d’originalité tout ça. Mais, ça correspond à quoi concrètement?
Mme Maliza Youssouf Saïd: C’est un héritage de Gaston Defferre, jadis emblématique Maire de Marseille, de 1953 à sa mort, en 1986. Suivant la loi PLM (Paris, Lyon, Marseille), les élections municipales se déroulent par secteur, regroupant chacun deux arrondissements. Chaque secteur élit ses conseillers (303 au total), dont un tiers siègent au Conseil municipal (101) et les autres siègent au sein des conseils de secteurs. Lors des élections municipales, on élit ceux qui sont en haut de liste pour la Mairie «centrale» et ceux qui suivent pour le secteur. C’est ainsi qu’Élisabeth Saïd est Conseillère municipale, et Nassurdine Haïdari Conseiller de secteur.
www.lemohelien.com: Quels sont les objectifs visés par le Collectif des Indignés de la Cité Phocéenne au regard de la Communauté comorienne de Marseille?
Mme Maliza Youssouf Saïd: L’objectif que nous visons se résume par une dynamique d’unité au sein de la Communauté comorienne. Nous prônons l’unité, la solidarité et le progrès. Aujourd’hui, tous les partis politiques français reconnaissent le militantisme sincère et actif des Franco-Comoriens de Marseille. En même temps, se pose le grand problème de la visibilité politique et élective de ces Franco-Comoriens de Marseille. Parlons chiffres. Dans la ville de Marseille, on compte 8 secteurs. Dans les 13ème et 14ème arrondissements, 25% des personnes inscrites sur les listes électorales sont d’origine comorienne, contre 19% aux 15ème et 16ème arrondissements, et 14,5% aux 2ème et 3èmearrondissements. Quand on consulte les listes électorales, on constate qu’en moyenne, un électeur sur quatre ou cinq est d’origine comorienne. Or, Marseille compte 303 Conseillers, dont 101 à la Mairie «centrale» et 202 dans les secteurs. Au total, sur ces 303 élus, on ne compte que 2 Conseillers de secteurs et 1 Conseillère municipale. Cela doit changer pour donner plus de visibilité à la Communauté comorienne de Marseille.
www.lemohelien.com: En d’autres termes, la Communauté comorienne de Marseille a une visibilité politique très marginale, au vu de son importance numérique et de son implication dans la vie politique locale. Comment l’expliquez-vous?
Mme Maliza Youssouf Saïd: C’est situation très spéciale. J’ai posé la question à Jean-Claude Gaudin, le Sénateur-Maire de la ville, qui m’explique que Marseille a ses traditions politiques, faites de dynasties et de baronnies, les aînés de la famille ne voulant céder la place qu’à leur progéniture, dans un incroyable élan de famille et de clan. Mais, moi, en tant que membre de la Communauté comorienne de Marseille, je constate que ladite Communauté fait l’objet d’une inadmissible stigmatisation et discrimination. Ces deux maux sont politiques et médiatiques. Alors ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant avait déclaré le dimanche 11 septembre 2011: «Il y a à Marseille une immigration comorienne importante, qui est la cause de beaucoup de violences». C’est inadmissible. Il y a peu, dans l’émission «C dans l’air» d’Yves Calvi, la Communauté comorienne de Marseille a été de nouveau stigmatisée. Certains, que je ne citerais pas, font tout pour faire passer les Comoriens de Marseille pour les responsables de tous malheurs de la ville. Ils oublient l’effort républicain fourni par les Comoriens et les Franco-Comoriens. Ils oublient le phénomène de ghettoïsation qui frappe les Comoriens, vivant dans les mêmes quartiers et dont les enfants fréquentent les mêmes écoles. Dès qu’un acte délictueux médiatisé touche un Comorien, on en fait un problème ethnique, et quand cela touche le membre d’une autre communauté, on en fait un problème individuel. On oublie l’esprit de Marseille, un esprit de melting-pot et de vouloir-vivre ensemble. La délinquance a touché successivement certaines communautés. Ceux des Comoriens – une infime minorité – qui y sont impliqués appartiennent à la dernière vague, et n’ont rien inventé. Pourtant, ils sont les plus visibles. Il y a donc stigmatisation.
Mme Maliza Youssouf Saïd: La situation est d’autant plus difficile à gérer que Marseille compte de nombreux lobbies communautaires, qui imposent, s’imposent et négocient des places électives et autres. Les Comoriens d’origine ne disposent d’aucun lobby.
www.lemohelien.com: Pouvez-vous compter sur les politiciens pour faire évoluer les choses? Ont-ils fait des choses positives pour la Communauté comorienne de Marseille?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Les politiciens ont fait certaines choses qui sont positives. Le Sénateur-Maire Jean-Claude Gaudin avait mis à la disposition des Comores un local de 1.000 m², pour un Consulat, mais l’État comorien a été défaillant. Il y a eu d’incroyables cafouillages de la part de la diplomatie comorienne, et les accusations réciproques ont été au rendez-vous entre les ministres Ahmed Ben Saïd Jaffar et Fahmi Saïd Ibrahim. Jean-Claude Gaudin a promis une mosquée aux Comoriens de Marseille, et le projet est en cours.
www.lemohelien.com: Justement, Gaston Defferre a longtemps été soutenu par les Comoriens de Marseille. Jean-Claude Gaudin l’est-il de la même manière?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Jean-Claude Gaudin est moins soutenu par les Comoriens que ne l’était Gaston Defferre. Généralement, les Comoriens votaient à Gauche. Mais, les mentalités évoluent. Un recentrage est en train de s’opérer. Pour preuve, Elisabeth Saïd était une militante de Gauche jusqu’au jour où elle a entendu des paroles très malheureuses et polémiques qui l’ont fait virer à Droite. Les Comoriens continuent à voter massivement à Gauche, mais la Droite est en train de marquer des points significatifs.
www.lemohelien.com: Pourtant, en 2008, Jean-Claude Gaudin a commencé sa campagne pour la reconquête de la Mairie de Marseille au sein de la Communauté comorienne de la ville, coiffé à la comorienne.
Mme Maliza Youssouf Saïd: Les choses se sont passées dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. En 2008, en plein lancement de la campagne pour les élections municipales françaises, Mohamed Abdouloihabi, alors Président de l’Île autonome de la Grande-Comore, est reçu officiellement à la Mairie de Marseille. C’était la première fois que le drapeau des Comores était hissé à la Mairie de Marseille. Au cours de la visite, Mohamed Abdouloihabi avait offert à Jean-Claude Gaudin la fameuse coiffure, et ce dernier l’avait symboliquement portée. Le Front national avait dit à l’époque que les Comoriens de Marseille avaient «acheté» le Sénateur-Maire Jean-Claude Gaudin. C’était une polémique vaine et désespérante.
www.lemohelien.com: Que proposez-vous donc pour assurer aux Franco-Comoriens une plus grande présence politique?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Nous ne pouvons proposer que les valeurs de solidarité et d’unité déjà citées, et cela explique pourquoi nous avons élaboré une Charte de Bonne conduite, une Charte basée sur des principes unificateurs et de non-agression au sein de la Communauté comorienne de Marseille. Il y a eu trop de propagande négative entre membres de la Communauté comorienne de Marseille par le passé. Cela nous a détruits et n’a épargné aucun Comorien. Cela nous a empêchés d’avancer. Maintenant, nous faisons tout pour éviter les divisions au sein de notre Communauté. La communauté comorienne de Marseille est pour la diversité dans le respect. Elle est pour la pluralité et contre le dénigrement. Il faut également encourager l’engagement politique et le militantisme au sein des partis. Il est nécessaire, pour cela, de sensibiliser la jeunesse, relais essentiel pour une plus grande visibilité politique. C’est en intégrant les partis que nous pouvons faire bouger les choses et impulser une nouvelle dynamique.
Mme Maliza Youssouf Saïd: La bonne foi est présumée, et il faut y croire. La nature humaine est difficile, mais ne sombrons pas dans un pessimisme «génétique». Concrètement, pour garantir l’application de la Charte, nous avons réuni des témoins: le Mufti comorien de Marseille, l’Association des Notables et l’Association des Femmes, qui vont signer une déclaration avec nous. Des sanctions communautaires seront prises contre les contrevenants.
www.lemohelien.com: Il est facile d’imaginer que votre rencontre du dimanche 12 janvier 2014 à 16 heures aux Docks des Sud, à Marseille, est d’une grande importance pour les membres de votre Collectif des Indignés de la Cité Phocéenne.
Mme Maliza Youssouf Saïd: C’est un grand rendez-vous politique, auquel sont invités tous les élus de Marseille et certains de la Région PACA. À travers ce grand rendez-vous, nous visons deux objectifs. Le premier objectif est relatif à un réveil citoyen qui se résume par un appel que nous lançons à tout le monde: «Venez vous investir pour changer les choses». Nous avons adopté deux slogans: «Marseille a besoin de nous» et «Ce qui est décidé sans nous sera décidé contre nous». Le deuxième objectif consiste à réveiller les politiciens et à favoriser le développement, en leur soumettant nos propositions. Nous voulons créer l’espoir et l’espérance sur le long terme. Nous envisageons une valorisation de la Communauté des Comoriens de Marseille, comme d’autres l’ont fait pour leurs communautés respectives. À travers la grande conférence du 12 janvier 2014, nous espérons la mobilisation des Comoriens de Marseille, et nous visons une représentativité politique qui tiendra compte de l’importance de cette Communauté. Mais, pour réussir, nous devons éviter les nocives divisions du passé.
Mme Maliza Youssouf Saïd: Pour coûter cher, elle va coûter très cher: 10.000 euros, pour une salle qui peut contenir 2.800 personnes. Nous n’avons bénéficié d’aucune aide extérieure.
www.lemohelien.com: Est-ce la fin des conflits politiques entre Comoriens de Marseille?
Mme Maliza Youssouf Saïd: Espérons. Nous revenons de loin. Au cours de la première réunion, il y a eu des échanges d’injures. À la deuxième, les noms d’oiseaux ont fusé et on avait enregistré un début de bagarre, et j’avais dû m’interposer comme dans un film. Mais, le linge sale a été lavé en famille. Maintenant, tout le monde se fait la bise, et la dynamique unificatrice s’installe. Nous nous savons observés par nos aînés, qui nous accompagnent et de qui nous devons être dignes. La relève générationnelle ne peut être assurée que dans l’unité.
Propos recueillis par ARM