Pourquoi a-t-on tué Ali Soilihi Mtsachiwa le 29 mai 1978
Pour les passionnés de l’Histoire des Comores, l’assassinat du 3è Président des Comores post-indépendantes, reste une énigme. Pourquoi les assaillants, ont-ils attendu le 29 mai au lieu de l’exécuter le 13 mai 1978 ?
La réponse à cette question est cruciale pour mieux cerner l’homme qu’il était, et appréhender la question mahoraise. Contrairement aux idées reçues, la question mahoraise n’est pas née du transfert de la capitale, ni de la déclaration unilatérale de l’indépendance le 6 juillet 1975. C’est une question dont la portée remonte à loin dans notre histoire, au 19è siècle. On y reviendra un jour.
L’arrivée d’Ali Soilihi Mtsachiwa à la tête de l’état, a toujours été un sujet à équivoque. On peut constater que c’est dans la voie suivie par son prédécesseur le Président Saïd Mohamed Cheikh, qu’Ali Soilihi a bâti son pouvoir. Si aujourd’hui, le Président Saïd Mohamed Cheikh, reste la référence, en matière d’action gouvernementale, dans la mémoire collective, c’est surtout par son choix dès 1967, de confier à la jeunesse, la gestion d’une partie des affaires publiques. Les Comores étant un pays à tradition orale, c’était une façon de faire parler longtemps de son œuvre. Sachant, qu’ils allaient pérenniser son action soit par reconnaissance ou soit pour vanter leur mérite. Ali Soilihi a suivi la même voie, avec ses comités.
Ali Soilihi était-il un révolutionnaire ?
L’idée qu’il était un révolutionnaire malgré lui, est défendable. Son fun club, lui attribuant toutes les mérites des grandes décisions prises durant la période 3 Aout 1975-13 mai 1978, alors même que beaucoup de ces initiatives, son opinion n’était pas requise.
Etait-il un traitre ou un lâche ?
Certainement pas. Les actes de traitrises avérés, sont facilement transbordables, dans une certaine idée, de démarche stratégique de conquête du pouvoir. Mais le bilan légué par son règne laisse peu de place au grand révolutionnaire, visionnaire que l’on veut lui attribuer. La baisse des prix de produits premières nécessités acquis parfois gracieusement, ni le plan quinquennal, dont on sait, qu’il était l’œuvre de Nasredine Saïd Ibrahim et Ali Haribou, tiré des études de l’IRAT (Institut de Recherches Agronomiques du Territoire), ni même le programme de décentralisation, présenté en 1974, par Abdallah Mohamed Ben Ali, député PASOCO, à la Chambre de députés, ne suffisent pas à lui conférer ce titre.
Trois dates marquent d’une encre indélébile cette période. La première est celle du 7 juillet 1975, où le futur Président déclare sur RFI, à la sortie d’une rencontre tenue au 2 rue de l’Elysée, à Paris, en compagnie de Marcel Henry, je cite : « je suis hostile à toutes les décisions du parti « VERT » dont pour moi, Ahmed Abdallah est le symbole ». De quelle décision parlait-il si ce n’est la proclamation de l’indépendance le 6 juillet 1975?
Le doute sur sa traîtrise qui serait liée à cette phrase, est levé quelque temps plus tard, le 4 Août 1975, soit le lendemain de son coup d’état réussi.
Dans le salon du domicile du prince Saïd Ibrahim, où ses partisans se sont retrouvés, le délégué de la république française, qui les a rejoints, leur a demandé de sortir une déclaration dénonçant l’acte du 6 juillet 1975, et poursuivre le processus tracé par la loi du 30 juin 1975 : L’idée étant, l’organisation d’un autre referendum île par île, sur la constitution du futur état. En réponse, Ali Soilihi a dit je cite : « la proclamation de l’indépendance est un acte irréversible ; il nous appartient aujourd’hui, de trouver les voies et les moyens pour une meilleure coopération entre nos deux pays ». On voit ici que la déclaration dont il disait s’opposer le 7 juillet, est défendue corps et âme. L’idée d’une trahison s’amenuise.
Le lendemain 5 Août 1975, Ali Toihir alias Keke et Mohamed Hassanaly, vont être les témoins de la dernière rencontre historique entre Ali Soilihi et Marcel Henry. Elle s’est déroulée à Dzaoudzi. La délégation de ces trois personnes, demanda au député mahorais, Marcel Henry, de rentrer avec eux à Moroni, pour former le nouveau gouvernement. Sa réponse a été sans équivoque. « Le 7 juillet 1975, nous nous sommes convenus à Paris, que vous allez prendre le pouvoir à Moroni, mais que Mayotte resterait département français. Maintenant c’est à chacun de suivre sa voie ». Mohamed Hassanaly et Ali Toihir sont restés ébahis. La délégation a pris le chemin du retour et dans la soirée, le Conseil Exécutif de la Révolution est annoncé avec comme seul mahorais Christian Novou, Co-délégué à l’équipement
En ce jour du 5 Août 1975, le PASOCO, prend acte de cette déclaration de Marcel Henry, et ajuste sa stratégie. Charif Saïd Ali, rentre au gouvernement comme Co-délégué aux Finances, Salim Himidi part à l’étranger pour faire admettre les Comores aux Nations-Unies, Ali Bourhane assure les affaires courantes du parti.
Face à l’intransigeance africaine, la Tanzanie est la première à ouvrir ses portes au nouveau gouvernement. En septembre 1975, la France essuie un premier échec, avec le refus de la délégation comorienne conduite par Abbas Djoussouf et Ali Toihir, de signer un accord qui n’intègre pas Mayotte, dans le cadre du transfert des compétences. En octobre 1975, la Chine introduit la demande d’admission des Comores au sein du conseil de sécurité. Les Comores sont admises, par les Nations Unies sans que la France, ait mis son droit de veto. Le 12 novembre 1975, cette admission est devenue effective, avec le vote de l’assemblée générale. Le discours lors du déjeuner offert par le conseil de sécurité, fait en comorien et traduit en anglais, fera date dans les annales des relations franco-comoriennes.
Face à ces actes révolutionnaires qui échappaient à sa stratégie, le 21 novembre 1975, Ali Soilihi a entamé la marche rose à Mayotte ; Une action qui relevait plus du spectacle que d’une action déterminante. Sinon, comment comprendre que des avions français, pilotés par des français, transportaient des hommes hostiles à la France, avec le relais exclusif de journalistes et médias français ?
Cette journée a sonné le glas des hommes du 3 Août. Alors que le délégué à la défense, se trouvait à Mayotte, avec les marcheurs, le président Saïd Mohamed Djaffar et le secrétaire général du gouvernement Saïd Ali Tourqui, décrètent successivement le départ des militaires français, puis de tous les français du territoire comorien, en réponse aux jets de pierres aux marcheurs par le Mouvement Populaire Mahorais.
Devant cette hécatombe de décisions hostiles à la France, Ali Soilihi prend les rênes du pouvoir le 4 janvier 1976. Comme première mesure, il écarte la plupart des cadres politiques qui faisaient partie du gouvernement de Djaffar. En février 1976, pendant que les lycéens, en compagnie du nouveau Chef de l’état, manifestaient leur hostilité au référendum organisé à Mayotte, dans les rues de Mutsamudu, la France a été contraint d’opposer son veto, à une résolution des Comores au conseil de sécurité. Il faudra attendre l’assemblée générale au mois de septembre 1976, pour qu’une résolution soumise par Salim Himidi, soumise à l’assemblée générale, condamne sa tenue et tous les autres, qui pourraient être tenus, dans le même objectif.
A partir du mois d’octobre 1976, le comité national, les comités régionaux et les comités villageois, prennent forme. Un gouvernement de 4 personnes, dont un vice-président, un premier ministre, un ministre de l’intérieur et un ministre des affaires étrangères, dirige le pays. Les massacres de Majunga, durant cette période, vont donner à Ali Soilihi la stature d’un homme d’état habile, capable de s’adapter à toutes les situations. Alors que la crise financière due au non versement des dotations par la France, enfonçait le déficit chaque jour, la crise de Majunga va servir de rampe de lancement d’une large réforme de la fonction publique. Tous les salaires sont réduits de moitié pour rester à tout jamais, puis suivra après la période de six mois, une purge générale des effectifs.
Profitant des mécontentements grandissants de l’intérieur et de l’extérieur, la France, sur probablement, les conclusions qu’elle a tiré des rapports établis par son conseiller personnel Hervé Chagnoux, qui n’était autre que l’ancien conseiller du Délégué Général de la France, a décidé, de passer outre l’accord préparé par le Président Senghor, soumis à Ali Soilihi et Valery Giscard d’Estaing, sur une sortie de crise de Mayotte.
C’est probablement en désespoir de cause, que la France, constatant que son homme, Ali Soilihi, n’a pas géré les affaires comme elle l’aurait voulu, a fait le choix d’Ahmed Abdallah, considérant qu’aucun autre de la génération, ne pouvait jouer le rôle voulu, au vue des positions lors des négociations de l’accord de juin 1973.
La décision du rejet de l’accord sur les transferts de compétences, le départ des français en novembre 1975, alors que personne ne l’avait prévu, la condamnation par l’assemblée générale des Nations Unies de septembre 1976, ont-elles été interprétées, comme une incompétence de sa part à tenir les décideurs politiques à moins qu’elle les ait prises comme une tactique comorienne inscrit dans une stratégie globale, pour faire avancer la cause nationale ?
En tout cas, au fuir et à mesure que des décisions contraires aux intérêts de la France tombaient, leurs auteurs étaient écartés ; C’est le cas d’Abbas Djoussouf, Said Ali Tourqui, Dr Said Bacar Tourqui, Said Mohamed Djaffar et bien d’autres renvoyés, dès janvier 1976. Ils sont suivis par Ali Mlamali, Salim Himidi, Charif Saïd Ali, Dr Ben Ali Bacar, Ahmed Ali Kouva et bien d’autres dès le mois d’octobre 1976. Pour certains d’entre eux, l’humiliation a atteint son paroxisme.
Ce que l’on sait, dans la mesure où le garde corps personnel d’Ali Soilihi, malgré ses discours révolutionnaires, depuis le 6 septembre 1975 jusqu’au 13 mai 1978, n’était autre qu’un compagnon du mercenaire Bob Denard, le capitaine Guilsou renforcé en 1977, par un autre mercenaire : Christian. La France avait donc les moyens de le supprimer, sans aucune autre intervention.
Il est fort possible que la réponse à cette interrogation, demeure dans les rapports que son conseiller personnel, le français Hervé Chagnoux, et son conseiller en linguistique, le français Michel, tous deux ayant exercés à Mrodjou, adressaient régulièrement leurs supérieurs hiérarchiques, à Paris. S’agissant du choix du maintien de ces français auprès de lui, notamment le cas de Chagnoux, qui fut le conseiller du Délégué Général, Georges Poulet, jusqu’au départ des français, il faudra une profonde recherche pour lever cette énigme. Peu importe, ceci n’explique pas, pourquoi, ils ont attendus le 29 mai 1978, pour le tuer au lieu du 13 mai 1978 .
Par MOHAMED CHANFIOU Mohamed
Paris le 28 mai 2013