Entretien | De l'économie du projet à Mayotte selon Cardete & Huet Architectes

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«La transposition d’un modèle métropolitain se révèle problématique. Il y a dans ces territoires tropicaux une typologie à inventer qui...

«La transposition d’un modèle métropolitain se révèle problématique. Il y a dans ces territoires tropicaux une typologie à inventer qui passe d’abord par un travail programmatique», analyse Gérard Huet, associé fondateur de l’agence toulousaine Cardete & Huet. L’architecte aborde aspects constructif et financier, un regard aiguisé par dix années d’expérience mahoraise.

Contexte


Mayotte est, depuis le 31 mars 2011, le 101e département français. Le processus de départementalisation exigé depuis 1958 a finalement abouti suite au référendum organisé le 29 mars 2009. Cette île de l'archipel des Comores, au large du Mozambique sur la côte est-africaine, a longtemps été un territoire marginalisé du fait de sa situation géographique et de son manque de richesses. Son nouveau statut administratif implique aujourd'hui des changements radicaux pour cette jeune population de confession musulmane.


Passant, en trois ans, de 185.000 à 252.000 habitants en 2010, Mayotte nécessite désormais un nombre croissant d'infrastructures nouvelles aptes à répondre aux besoins de la population.
Il y a dix ans, Cardete & Huet remportait le concours pour la réalisation de l'extension du centre hospitalier de Mamoudzou (12.000m², budget 40M€) livré en 2010. En parallèle, l'agence toulousaine a développé un Institut de formation des soins infirmiers (1.000m²) et la maternité de Dzoumougné (4.000m²).

En 2011, le groupement Colas Mayotte, Cardete & Huet et Ginger BEFS sont sélectionnés à l'issue d'un jury d'appel d'offres pour la réalisation de l’agrandissement de la maison d'arrêt de Majicavo (13.500m², budget 60,8M€) dont l'achèvement est prévu fin 2014.
JPhH
02(@CardeteHuet)_B.jpg 

Le Courrier de l’Architecte : Mayotte, une destination stratégique ?

Gérard Huet : Nous sommes comme tous les architectes ; nous sommes ancrés à notre territoire et nous répondons parfois à des appels à candidatures qui en sont loin. Parmi eux, celui pour l’extension de l’hôpital de Mamoudzou à Mayotte. Dans l’enthousiasme, nous avons répondu et dans l’enthousiasme, nous avons voulu transformer l’essai et gagner. Nous nous sommes retrouvés à Mayotte comme nous nous sommes retrouvés à Marseille : le hasard. Il n’y aucune stratégie. Toutefois, entre Marseille et Mayotte, tout change diamétralement.

Il y a dix ans, le premier contact avec Mayotte...

Nous sommes allés sur place à la découverte d’un territoire dont chacun pouvait se demander ce qu’il avait de métropolitain. C’est un morceau de pampa insulaire, c’est un choc physique, culturel, en un mot, c’est l’Afrique. Tropicalité, atmosphère cyclonique, culture musulmane, nous sommes loin de nos standards ; or, pour ce projet d’extension, il s’agissait de transplanter un modèle métropolitain en terre 'étrangère'.
L’hôpital de Mamoudzou n’avait alors que cinq ans d’existence et pourtant, il se montrait d’ores et déjà dégradé ; une situation qui pose des questions quant à la maintenance de l’architecture et aux pratiques culturelles collectives.

Comment concevoir une architecture pour Mayotte depuis la métropole ? 

Ce n’est qu’in situ que vous mettez en regard la proposition du concours et la capacité locale de construction. Certes, il y a Colas - filiale de Bouygues - et Vinci mais les banches, par exemple, ne sont pas de même qualité qu’en métropole. Aussi, nous nous sommes demandés si nous pouvions construire ce que nous avions dessiné. Par voie de conséquence, nous avons été obligés d’envisager la simplification de la solution.
03(@CardeteHuet)_S.jpgSur place, la collaboration avec une agence locale est-elle nécessaire ?
Nous avons d’abord travaillé en association avec une agence mahoraise. Toutefois, le temps et les comportements ne sont pas les mêmes. Au laxisme se sont ajoutés des problèmes techniques aussi handicapants qu’une liaison ADSL défectueuse. Il fallait notamment que nos fichiers passent par la Réunion. Nous sommes donc revenus seuls sur l’opération. Nous étions alors confrontés à un bureau d’études ayant eu jusqu’à huit représentants successifs ! Sur place, notre collaborateur a dû endosser les casquettes de chef de projet et de chef de chantier en plus d’assurer la sécurité du site.
Aujourd’hui, pour nos autres projets sur l’île, nous travaillons avec une jeune agence locale, Tandem, dont nous apprécions particulièrement le travail.

Face aux aléas, le projet d’extension de l’hôpital de Mamoudzou a-t-il été modifié ?

Nous n’avons, in fine, pas construit ce que nous avions dessiné. Il est même impossible de retrouver l’image du concours. C’est aussi le cas en métropole. Les cycles dans l’hospitalier durant généralement dix ans, tant les évolutions technologiques que les besoins changent durant ce laps de temps. L’hôpital public demande ainsi beaucoup de transformations. A Mayotte, ce processus devient exponentiel.
04(@CardeteHuet)_S.jpgConstruire à Mayotte, comment ?
Il est impossible de considérer un projet préfabriqué et de le mettre sur des bateaux. Il y a un système douanier à Mayotte qui taxe jusqu’à 30 ou 40% les produits finis. L’ambition de ce dispositif est d’installer un artisanat sur l’île. Il faut donc faire venir des produits bruts à transformer et nous sommes alors confrontés aux compétences locales.

Qu’en est-il de la main d’oeuvre ?

L’encadrement de la main d’oeuvre est métropolitain mais même chez les Métropolitains, les conditions sont singulières.

Quelle économie pour le projet ?

La potentialité de construction ne peut pas suivre le rythme de la demande. Ce décalage génère des procédures particulières. Autre aspect économique, le SMIC. Il était en 2002 de 200 euros puis il a été rehaussé depuis à 90% du SMIC métropolitain. Nous nous sommes retrouvés dans des révisions de prix considérables qui ont généré une dérive budgétaire.

Quel hôpital pour Mayotte ? 

Ce bâtiment est identique à celui que nous aurions pu faire en métropole... à la tropicalité près. Tout ce que la typologie traditionnelle exige en termes de surfaces et de ratio nous l’avons fait ; cette contrainte implique une emphase technologique du bâtiment. Avoir les mêmes standards qu’en métropole suppose un surenchérissement dans l’investissement ainsi que pour les conditions d’exploitation. Etre aussi sophistiqué qu’en métropole ? Certes, mais le personnel n’est pas toujours là pour l’entretien. Aussi, la transposition d’un modèle se révèle problématique. Il y a dans ces territoires tropicaux une typologie à inventer. Il y a tout un travail programmatique à faire.
05(@CardeteHuet)_B.jpgPar exemple ?
Nous n’avons, par exemple, pas intérêt à tout climatiser. La ventilation naturelle peut être davantage utilisée. Il y a donc une inflation des besoins énergétiques et nous construisons des cathédrales techniques. La puissance électrique de Mayotte n’est pas capable d’assurer le besoin. Nous avons donc été amenés à nous autonomiser via des groupes électrogènes conséquents. Toutefois, ces choix ne sont pas de l’ordre de nos décisions.
Les sujets simples en métropole sont compliqués à Mayotte. Il n’y a, par exemple, pas de port et tout doit être déchargé sur des barges. Le cycle d’approvisionnement est d’au moins trois mois. Impossible donc de changer de revêtement de sol en cours de réalisation. Il y a une dimension et une temporalité particulière. Aujourd’hui, de nouvelles infrastructures portuaires sont enfin en construction.

Quels enseignements ?

Aujourd’hui, ces expériences à Mayotte doivent conduire le Ministère de la Santé à avoir une réflexion sur ce qu’est un hôpital en milieu tropical, de plus en terre musulmane. Les pratiques culturelles sont différentes. Pour un malade, c’est la famille entière qui vient rendre visite. Les espaces d’attente sont 'embolisés'. Le rapport à la nourriture est lui aussi différent. La cuisson du riz peut se faire dans un couloir sur un sol en plastique. Nous essayons d’attirer l’attention des maîtrises d’ouvrage sur ces pratiques mais nous, architectes, nous avons d’abord un contrat à gérer. Le travail doit être fait bien avant, en amont, lors de l’élaboration du programme.
06(@CardeteHuet)_B.jpgL’agence s’y retrouve-t-elle financièrement ?
Il ne faut pas aller à Mayotte en apprenti sorcier. Au final, cela coûte cher. L’équilibre financier de l’opération est juste. Notre chef de projet est resté cinq ans là-bas avec son épouse qui assurait les tâches administratives et un responsable ingénieur. Ces présences impliquent un coût incompressible. A cela s’ajoute le coût excessif de la vie à Mayotte.

Pourquoi continuer à vouloir travailler à Mayotte ? Qu’en est-il de la concurrence locale ?

Il y a des côtés attachants. Tout reste à faire sur cette île. Mayotte vient de tellement loin. En dix ans, nous avons pu constater beaucoup d’évolution. Il n’y avait presque pas de voiture et aucun feu rouge. Aujourd’hui oui et la dépendance énergétique devient un problème de plus en plus important.
Il y a aussi une bonne volonté et une dynamique. Depuis la départementalisation, il y a nombre d’investissements. Aujourd’hui, nous travaillons sur le projet de la nouvelle maison d’arrêt. Nous avons également participé au concours pour le nouvel aéroport ainsi que pour un lycée.
Les agences locales ne voient pas forcément bien notre venue mais elles se structurent pour affronter ces grands projets.

Se rendre à Mayotte, crainte ou plaisir ?

J’y vais avec plaisir. Tous les trois mois, j’y passe une semaine. Je ne me suis jamais retrouvé dans aucun conflit. L’île a pourtant été paralysée dernièrement pendant trois mois. La ville était bloquée et l’approvisionnement difficile. Il y a une petite délinquance car la jeunesse n’a malheureusement rien à faire. Il n’y a de richesse sur l’île que celle des services. Il n’y a pas de pêche et le tourisme, s’il venait à trop se développer, mettrait en péril le lagon. La délinquance n’est en somme pas plus développée qu’ailleurs. Rien à voir avec la Guyane où les richesses et les convoitises sont nombreuses.

Une porte d’entrée vers l’Afrique ?

Les expériences en Afrique subsaharienne n’ont pas été heureuses tant au Bénin qu’en Guinée Equatoriale. Encore une fois, nous n’avons pas de stratégie particulière, si ce n’est de thésauriser sur nos références. Nous préférons qu’on vienne nous chercher pour former un pool d’équipe adapté au sujet sous l’autorité d’un major. C’est plus confortable, notamment financièrement.
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