L'historien et anthropologue comorien, Damir Ben Ali, a introduit une conférence sur Said Mohamed Cheikh au cours d'une conférence ...
L'historien et anthropologue comorien, Damir Ben Ali, a introduit une conférence sur Said Mohamed Cheikh au cours d'une conférence jeudi à Moroni. Dans l'interview qui suit, il explique certains choix du premier président du conseil du gouvernent.
Quels sont vos souvenirs de Said Mohamed Cheikh ?
Il est né à Mitsamiouli et a grandi chez son père à Moroni, deux centres importants du pouvoir administratif et économique colonial. Il a été l e premier médecin comorien.
Qu'es-ce qui caractérisait le plus cet homme?
Il avait une culture comorienne très intense et était le premier intellectuel puisqu'il était le premier Comorien ayant suivi un cursus normal. Il dominait toute l'élite de son temps. A l'époque, le droit d'aînesse était de mise, c'était l e langage de l'époque. Et même au niveau de la région, il avait quand même une certaine influence. Il a reçu le président malgache Philibert Tsiranana et incarnait une vraie stature d'homme d'Etat.
Parlez-nous de son parcours.
Après quatre ans de formation, Said Mohamed Cheikh est accueilli pour trois années d'études à l'école régionale de Mutsamudu à Anjouan. A sa sortie en décembre 1926, à 22 ans, il est affecté au poste médical de Mitsamiouli avant d'être muté, l 'année suivante, à Moroni et à Foumbouni, trois ans après. Le jeune médecin, grand connaisseur des us et coutumes comoriennes, occupait une place importante dans les structures sociales traditionnelles.
Quelle a été sa principale préoccupation?
Les infrastructures routières. C'était son cheval de bataille. Les Comores exceptées, l es anciennes colonies françaises étaient en avance dans ce domaine. Cheikh était un homme qui voulait bâtir du solide, il ne voulait pas d'improvisation, il voulait un Etat capable de prendre en charge sa destinée. Il s'est battu pour l'enseignement des filles; ce qui était un défi, à l'époque, car seuls l es garçons pouvaient aller à l'école des Blancs. Moderne, comparé à son temps, il s'était beaucoup investi pour l e bien-être des Comoriens.
II y avait combien d'écoles ouvertes à l'époque?
L'administration coloniale avai ouvert trois écoles à Ngazidja, deux à Ndzuani et deux à Mayotte. Son programme privilégiait l 'étude du milieu afin que les enfants arrivent à posséder un vocabulaire français correspondant aux besoins en personnel subalterne dont l'administration et les firmes coloniales avaient besoin.
Et que peut-on retenir de l'homme sur le plan politique?
Il a réussi beaucoup de choses. Le statut du territoire des Comores a été remanié cinq fois sous sa direction de 1946 à 1968. Les l ois et décrets successifs négociés avaient reconnu à la circonscription lointaine et isolée de Madagascar son identité nationale, son unicité millénaire et son individualité politique. II a l égué à ses successeurs un pays doté de structures administratives fondées sur des normes écrites et modernes, une assemblée délibérante, un organe exécutif et un drapeau national.
Parlez nous de ses prises de positions à l'assemblée nationale française?
Dès son entrée à l'assemblée, il dépose une proposition de résolution et une proposition de loi. La résolution invitait «le gouvernement français à résoudre le problème agraire aux Comores et à assurer à ces îles un véritable progrès social et culturel» en nationalisant les domaines de sociétés coloniales pour restituer les terres aux paysans. Le projet de loi détachait l'archipel de Madagascar sous un régime d«'autonomie administrative et financière». Il n'a pas obtenu la nationalisation de la société coloniale Bambao, mais une commission parlementaire a été créée qui restituera 14.000 hectares de terre aux paysans anjouanais. La loi sur l 'autonomie de gestion est
adoptée le 29 mai 1946 et appliquée dès janvier 1947 (...). I l a participé aux discussions qui ont abouti à l'abolition du travail forcé dans l es colonies, et à la restitution aux paysans d'une partie des terres accaparées par l es sociétés coloniales.
Comment expliquer l'attitude de ses adversaires qui réclamaient l'indépendance déjà ?
Au moment où l'Afrique accédait à l'indépendance, ses opposants ne voulaient pas que les Comores suivent cette voie. Cheikh n'a jamais été contre l'indépendance, il voulait que la France rattrape son retard aux Comores. A l'époque, le pays ne disposait de rien d'autre que 24 kilomètres de route. La scolarisation était de 12%. Il voulait préparer le pays en termes de cadres et de techniciens avant de l'engager sur l a voie de l'indépendance. © Albalad